Penser les théories du complot : créationnisme et conspirationnisme par Marc Harpon

Biston betularia, plus connu sous le nom de géomètre du bouleau

L’article ci-dessous fait partie d’une série dont le premier texte est disponible ici :  » Penser les théories du complot : cécité empirique ou défaite de la raison? »

Soit une chaîne alimentaire simple où par exemple du phytoplancton, autotrophe, est mangé par des poissons et/ou du zooplancton, eux-mêmes mangés par des poissons plus gros ou alors une chaîne où un herbivore terrestre se nourrit de végétaux mais sert d’aliment à un premier carnivore lui-même mangé par un second. Dans ces deux exemples, la « chaîne » alimentaire semble fonctionner comme une pyramide, avec des végétaux autotrophes à sa base et des animaux carnivores à son sommet.

Il serait absurde de considérer que les carnivores secondaires du sommet de la pyramide se soient organisés dans le but de dominer toute la chaîne alimentaire. Autrement dit, il faut soit admettre que l’organisation de la chaîne n’est le produit d’aucune volonté soit admettre que l’harmonie qu’on croit voir dans la nature est le produit d’une volonté supérieure. C’est pour la deuxième branche de l’alternative qu’optent les créationnistes et les adeptes du « dessein intelligent », dont l’argument classique est celui dit physico-téléologique.

Cet argument est déjà présent dans l’Epître aux romains de saint Paul. Il se résume en quatre points :

  1. aucun ordre de ne peut se penser sans la volonté d’un esprit ordonnateur,
  2. il faut donc supposer que l’ordre naturel résulte de la volonté d’un tel esprit.
  3. Cet esprit ordonnateur est un esprit supérieur.
  4. Cet esprit supérieur est ce que l’on appelle Dieu.

La proposition (1) est invalidée par les données empiriques qui montrent que ce n’est qu’après coup que les faits naturels prennent place dans un ordre ou, ce qui revient au même, acquièrent une fonction. Par exemple, le géomètre du bouleau possède une couleur noire « pour » échapper aux prédateurs, incapables de le repérer sur les troncs d’arbres foncés qui lui servent d’habitat. Toutefois, si l’harmonie évidente entre le géomètre et son milieu constitue un élément de ce qui ressemble à un ordre naturel ce n’est pas parce qu’une conscience l’a imaginé mais parce que le géomètre s’est adapté à ce milieu., en évoluant littéralement sous les yeux d’Homo Sapiens! Ce papillon commun dans certaines forêts anglaises a en effet…changé de couleur depuis la révolution industrielle : il est passé d’une couleur claire à une teinte foncée parce que les fumées et les poussières industrielles ont décimé les lichens recouvrant les troncs et noirci les arbres.

La proposition (1) est par ailleurs logiquement aberrante. On suppose un homme ne comprenant pas le français. On suppose maintenant qu’on lui donne dans sa langue une consigne suivant laquelle il devrait inscrire toutes les combinaisons possibles de ces deux caractères sur des morceaux de papiers qu’on lui fournirait. Les combinaisons signifiantes pour un francophone, c’est-à-dire ordonnées de façon à faire sens pour un lecteur francophone, auraient ainsi été produites par une expérience aléatoire et non par la volonté d’un esprit. De la même manière, si je jette un dé au hasard un certain nombre de fois, il y a une probabilité pour qu’à un moment donné je fasse une série de « six » plus ou moins longue. La régularité ainsi observée ne serait pas le fruit d’une volonté ordonnatrice mais simplement d’une expérience aléatoire. De là il suit que la régularité et l’effet d’harmonie ou d’ordre qu’elle produit peuvent se penser sans conscience ordonnatrice.

La proposition (1) est donc fausse empiriquement et stupide logiquement. Elle est le résultat d’une ignorance empirique doublée d’une atrophie de la capacité d’abstraction. Le problème c’est que cette proposition (1) est la prémisse d’un des arguments récurrents des théoriciens du complot. Le complot juif, par exemple, serait prouvé « indubitablement » par le fait que plus de la moitié des 100 personnes les plus riches du monde « seraient » juives : de l’ordre que semble révéler l’observation de régularités sociales réelles ou présumées, on tire l’idée d’un complot, c’est-à-dire d’un projet pensé et volontairement mis en oeuvre, ou on la suggère fortement. C’est ainsi que des conspirationnistes peuvent écrire ceci :

« Le juif dispose d’une puissance matérielle dominante mais aussi d’une force spirituelle éminente pour mettre en avant ses intérêts particuliers sous couvert de l’intérêt général. Il jouit en effet d’extraordinaires moyens de production intellectuels : cinéma, journaux, télévision,… Les huit principaux studios hollywoodiens, sont dirigés par des Juifs : News Corp, Peter Chernin, Paramount Pictures, Brad Gray , Walt Disney, Robert Iger, le président de Sony Pictures, Michael Lynton, le président de la Warner Bros, Barry Meyer, le directeur de CBS Corp, Leslie Moonves. Et aussi, le président de la MGM, Harry Sloan, le directeur de NBC Universal, Jeff Zucker.

Cette surreprésentation se rencontre dans toutes les instances du pouvoir et de la finance états-uniennes. Trois hommes d’affaires juifs et proches d’Israël figurent parmi les cinq plus grandes fortunes mondiales selon le classement Forbes. Les colistiers placés en 3ème, 4ème et 5ème positions sont juifs et ne dissimule pas leur affection à Israël. Il s’agit de : Sheldon Gary Adelson, milliardaire et développeur de casinos notamment à Las Vegas ; Lawrence Joseph Ellison, co-fondateur d’Oracle qui investit massivement en Israël, notamment à travers sa société Quark Biotech. ; Sergey Michailovitch Brin, co-fondateur de Google. Il a ouvert deux centres de R&D Google en Israël.

92% des juifs à travers le monde faisaient partie en 2004 des 20% les plus riches du monde d’après le rapport de l’Institut de Planification Politique du Peuple Juif (Policy Planning Institute for the Jewish People), qui dépend de l’Agence juive.

Les deux plus proches conseillers de Barack Obama, le Chef de cabinet de la Maison Blanche Emmanuel Rahm et son directeur de conscience David Axelrod sont juifs de tendance sioniste.

On retrouve au F.M.I. un juif comme président (Dominique Strauss-Kahn) et à la Banque Mondiale un sioniste (Paul Wolfowitz) cède la place à un autre sioniste (Robert Zoellick). »

Le mode de raisonnement des conspirationnistes ne part pas des élucubrations des Protocoles, mais de « faits » ou de « constats » qui, par un raisonnement de type physico-téléologique, conduisent à des hypothèses rendant crédibles ces mêmes Protocoles. Ce type de raisonnement rapproche le conspirationnisme des discours religieux : les attaques des créationnistes contre la biologie reposent sur le même présupposé que celles menées par les conspirationnistes contre les sciences sciences sociales. Comme on le verra dans un prochain article, la structure même des arguments des théoriciens du complot apparente leur démarche à une démarche religieuse et, contrairement aux apparences, l’ontologie inconsciente qui est la leur est plus proche de l’idéalisme métaphysique que du matérialisme scientifique. On aura peut-être ainsi expliqué la perméabilité des discours religieux les plus sectaires aux théories complotistes : le complot mondial serait l’oeuvre d’un esprit proprement démoniaque contre lequel les gentils croyants devraient se prémunir!

Un commentaire

  1. Bonjour, ceci est très intéressant. Néanmoins, même si des faits avèrent des situations, ces mêmes faits n’expliquent pas forcément selon les règles mathématiques la véracité de ces situations. Car notre cerveau, aussi cultivé et érudit soit-il, ne lui ouvre pas la lumière sur tout ce qui lui échappe. Notre évolution procède de cela et il y a encore beaucoup de chemin à parcourir dans nos propres consciences avant de démontrer quoi que soit sur le règne humain.


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