« Population Puzzle » déforme la réalité, par Simon Butler

Green Left Weekly (http://www.greenleft.org.au/node/45217)

Traduit de l’anglais par Marc Harpon pour Changement de Société


L’article qui suit traite d’ un documentaire raciste diffusé à la télévision australienne. L’auteur du film y soutient que la solution à tous les problèmes sociaux, mais aussi et surtout environnementaux, se situe dans une réduction de l’immigration, les étrangers étant présentés comme responsables de tous les maux. Il est significatif que, lors du débat qui a suivi le documentaire, la droite et la « gauche » australiennes, à travers leurs portes paroles attitrés, ne se soient finalement distinguées que par…d’invisibles nuances! A quand un mariage entre Europe-Ecologie et l’Union pour les Méfaits Présidentiels (UMP)? (Marc Harpon)

Population Puzzle de Dick Smith, un documentaire diffusé sur ABC 1 le 12 Août, ne fait pas dans la dentelle. Il va droit au but. Son message : « La réduction de l’immigration en Australie est un bon produit et vous devriez l’acheter ».

Il soutient qu’une Australie plus faiblement peuplée résoudrait non seulement un ou deux problèmes sociaux, mais des dizaines.

Le documentaire prétend que diminuer l’immigration réduirait la surpopulation de nos villes, les embouteillages et rendrait le logement moins cher. Cela réduirait les files d’attente dans les hôpitaux et la criminalité, améliorerait la santé publique et arrêterait le développement non-durable.

Cela aiderait à prévenir les pénuries d’eau, à éviter les coûteuses importations de carburant, arrêterait la transformation de l’Australie en une sorte de Bangladesh et chasserait la perspective d’une grande famine pour 2050.

Moins de monde en Australie améliorerait également le transport public, arrêterait le changement climatique et aiderait les économies du Tiers-Monde à se développer. Smith a même évoqué des chômeurs australiens qui, dit-il, perdent leurs emplois au profit d’immigrés mieux qualifiés.

Il a consacré peu de temps à essayer de prouver les relations entre la population et ces diverses questions. Au lieu de cela, il alarme un pays en surchauffe.

« Nous sommes au milieu d’un boum démographique, tel qu’on n’en a pas vu depuis les années 1950. » a affirmé Smith. « L’Australie a la médaille d’or de la croissance démographique. Aucune autre économie majeure n’a un rythme de croissance démographique comparable au nôtre. »

En tant que nation, l’Australie (22 millions d’habitants) donne « un exemple affreux à une planète qui se bat déjà avec une population trop importante » en «  surpassant même certaines des nations les plus pauvres. »

Smith a affirmé que l’Australie avait besoin d’un plan pour stabiliser la population : l’immigration devrait être réduite (de 270 000 arrivants en 2009) à 70 000 arrivants par an, a-t-il affirmé.

Immédiatement après ce documentaire d’une heure, l’émission Q&A d’ABC accueillait un débat sur la population avec Smith pour invité ; Scott Morrison, le ministre de l’immigration du cabinet fantôme libéral ; le dirigeant des Verts Bob Brown ; le ministre travailliste chargé de la population soutenable, Tony Burke ; l’ancien président du Parti Libéral, John Elliot et Suvendrini Perera de l’Université de Curtin.

Morrison, Burke et Brown ont tous affirmé que le documentaire de Smith présentait des arguments recevables, mais Perera a demandé au public de considérer la thèse du documentaire. Elle ‘la comparée à une « publicité plutôt longue et négative ».

« Je pense que [le documentaire est] ingénieux en ce qu’il répond à de vraies préoccupations sur l’environnement, sur le surdéveloppement. Mais je pense qu’il les fond dans un point de vue simpliste sur la population. Et, pour cette raison, je pense qu’il est plutôt une manipulation et qu’il est plutôt dangereux. » a-t-elle affirmé.

Le documentaire de Smith relève de la manipulation parce qu’il avance une fausse solution pour résoudre de vrais problèmes.

Les questions soulevées reflètent beaucoup de choses inquiétantes pour notre société : la chute des investissements publics dans les services et les infrastructures, l’influence profonde des multinationales sur le gouvernement, les lois de planification antidémocratiques et la poursuite de l’usage des carburants fossiles.

Mais Smith essaie de dire qu’il a la panacée, un moyen facile pour régler ces problèmes d’un seul coup : arrêter l’arrivée de migrants.

Le documentaire est dangereux parce qu’il détourne l’attention des véritables causes de la détérioration sociale et environnementale. Il fait jouer aux migrants le rôle de bouc-émissaire, bien qu’ils soient les moins responsables des problèmes de l’Australie.

Une partie de la technique de Smith consistait à ignorer tout fait qui contredisait son appel à la panique.

Mais le fait est que les projections de l’ONU concernant la population mondiale prévoient une hausse au milieu du siècle puis un déclin. Les taux de natalité dans la plupart des pays occidentaux, Australie comprise, sont tombés à des niveaux inférieurs au seuil de renouvellement.

La « bombe démographique » mondiale a été désamorcée. Pourtant, l’impact de l’homme sur la planète s’accroît.

La crise écologique s’aggrave. Les émissions de gaz à effet de serre augmentent. Les calottes glaciaires des pôles sont en train de fondre. Les événements météorologiques extrêmes se multiplient…et pendant ce temps les taux de croissance démographique chutent.

Cela contredit l’idée que la croissance démographique est le principal facteur dans la crise écologique.

Perera a également signalé que Smith a négligé l’énorme niveau de consommation et de gaspillage des pays comme l’Australie.

L'empreinte écologique par pays.

« Il me semble que le véritable éléphant dans le film et peut-être dans cette pièce est la consommation, parce que nous parlons de la population mais pas du besoin pour nous, dans le monde riche, de réduire la consommation. »a-t-elle dit.

Et il est vraiment incroyable que le documentaire ait oublié ça. L’Australie est le premier exportateur de charbon et a les émissions de gaz a effet de serre par personne les plus élevées de l’OCDE.

Les Australiens sont le peuple le plus gros du monde, mais la nourriture que nous jetons constitue plus de 40% de nos décharges. Les australiens ont des maisons plus grandes que n’importe quel autre nation au monde. Nous avons les plus grandes capacités en matière d’énergie solaire, mais nous les utilisons à peine.

Si le reste du monde consommait comme les australiens, il nous faudrait les ressources de quatre ou cinq planètes Terre.

Devant cette consommation non-durable, suggérer que la population est le facteur-clé qui explique l’empreinte écologique élevée de l’Australie trahit une vision déformée de la réalité.

La consommation élevée sert un but plus profond : maintenir la croissance économique sans fin qui est la politique déclarée de la plupart des gouvernements et le but supérieur de toutes les entreprises.

Le haut niveau de consommation de l’Australie est tiré par les besoins du système du profit, qui a un besoin intrinsèque de croissance et ne peut accepter de limite à cette expansion.

Pour régler le problème de la consommation nous devons régler celui de sa cause économique profonde. Au fond, c’est une lutte pour le contrôle de la production : les entreprises ou les gens?

La question est de savoir qui décide si nous devons creuser pour du charbon ou construire des centrales solaires, construire de nouvelles autoroutes à coup de bulldozer ou prévoir des lignes de chemin de fer et des pistes cyclables? La question est celle du contrôle populaire sur des décisions qui vont du développement de nos communautés locales jusqu’au rôle international de l’Australie.

Les problèmes soulevés par Smith ne sont pas causés par la surpopulation, mais reflètent une crise plus profonde liée à l’ensemble de notre système basé sur le profit, qui menace de nous faire sombrer dans l’oubli.

L’autre terme de l’alternative consiste à refondre notre économie, de façon à ce qu’elle serve au maintien des écosystèmes et à l’amélioration du bien-être humain. Mais cela signifie aussi une confrontation politique avec les élites économiques qui ne renonceront pas volontairement à leur pouvoir et à leurs privilèges.

Le documentaire de Smith tire l’essentiel de son effet de la façon dont il exploite les sentiments d’impuissance et d’aliénation compréhensibles qu’ont les gens sur ces grands dilemmes.

La tragédie du film est qu’il essaie de jeter la faute sur les migrants- un autre groupe de gens impuissants.

Durant le débat de Q&A, Smith a reconnu que la croissance économique capitaliste n’est pas durable. « Le problème est que nous avons 150 ans de dépendance à la croissance » a-t-il dit. « Le Dieu du capitalisme est la croissance, mais un faux dieu parce que c’est un monde fini et que l’on ne peut pas toujours utiliser les ressources pour la croissance. C’est impossible. »

Il est vrai qu’une croissance sans fin est impossible. Mais l’assertion de Smith suivant laquelle la réduction de l’immigration aiderait aussi à résoudre ce problème est la plus folle affirmation du monde.

Il laisse de côté les vrais coupables de la croissance capitaliste- les entreprises qui tirent le plus grand parti du statu quo sont saufs.

Le documentaire de Smith obscurcit le plus important « problème démographique » d’Australie. La scandale devrait être qu’une si petite partie aisée de la population ait un pouvoir et une influence si écrasants sur nos vies et notre futur.

Pour gagner un futur durable, l’ennemi est non la jeune famille immigrée, qui, dans un mélange d’angoisse et d’excitation, prévoit de commencer une nouvelle vie en Australie.

Notre véritable cible « démographique » devrait être le PDG de la compagnie minière, le cadre dirigeant dans le secteur pétrolier, le roi de la finance et le magnat des médias.

4 commentaires

  1. A lire ou relire  » un antisémitisme ordinaire  » de Badinter, ici pour partout dans le monde, qui décrit avec minutie les principes d’exclusions ( ici en premier lieu sur la xénophobie puis se focalisant sur l’antisémitisme, avant l’intervention radicale des nazis), la façon dont se catalyse l’ordinaire de ces situations de manière graduelle, à la faveur d’un contexte donné, puis l’élaboration juridique de ce principe d’exclusion et les paliers successifs qu’il franchit loi après loi.

  2. Michel, bonjour, avez vous un lien ? Il y a une bande de véritable horreurs qui a créé un lien (un truc qui s’appelle kiffgrave) et qui se proclame sans état d’âme antisémite et fier de l’être… Je dois dire qu’autant j’en ai assez des gens qui dès qu’on dit du mal d’israël et sa politique hurlent à l’antisémitisme, autant ces petites ordures qui fleurissent sur le net et s’musent à créer des liens avec mon blog me débectent…Il faut dire que comme une idiote un jour il m’a pris la lubie d’aller leur expliquer qu’il ne fallait pas tout confondre, j’ai déchaîné leurs interventions…
    de surcroît je viens en relisant le Robespierre de Zizek (Robespierre entre vertu et terreur, stock) de retrouver un texte de Robespierre sur les comédiens et les juifs, bien sûr Robespierre se prononce pour leur réintégration dans tous les droits civiques, mais la description qu’il fait des juifs est saisissante, c’est vraiment le pire de l’humanité, et « leurs »vices » selon Robespierre ne peuvent justement être combattu que par cette intégration. Robespierre témoigne à la fois de sa capacité à dépasser « les prejugés » et la force des dits préjugés sur le legislateur révolutionnaire.
    Cela dit ce texte proposé par marc à le mérite de bien montrer comment se structure une pensée et votre référence peutêtre le compléterait.
    Danielle Bleitrach

  3. Bonjour Danielle,

    non je n’ai pas de lien puisqu’il s’agit d’un livre édité en 1997 ( éditions Fayard, je suppose qu’à présent on doit le trouver en poche).
    Badinter se concentre sur l’exclusion des avocats Juifs des barreaux Français, c’est à dire dans le lieu même de la loi et du juridique.

    Je fais le même constat sur internet, notamment dans les forums dits généralistes qui sont utilisés à des fins de propagandes par des gens du « betar » par exemple ou de groupuscules d’extrême droite et parfois de divers islamistes, ils sont tous là bien présent et dans la désinformation et dans l’influence des débats.
    C’est encore plus facile sur certains sites…

    Un exemple, il y a quelques mois de fausses citations du Talmud circulaient dans les forums, de citations en citations on pouvait remonter dans les sources de diffusions, ces citations venaient dans des débats pour accréditer la thèse du complot Juif international.
    Après « enquête » il s’avéra que la fabrication de ces faux datait de 1993 et provenait d’un groupuscule néo-nazi implanté au USA.
    Le comble est que 17 ans après ces faux étaient utilisés par des sites d’extrême-extrême gauche.

    C’est un exemple, il en existe tant qui oscille avec des paramètres différents suivants les tendances..Donc, oui il est important de recouper les informations, sans cesse, depuis internet c’est encore plus sensible.

    Pour ce qui est du proche orient, j’en profite pour mettre en lien ce document très bien construit, diffusé hier sur Arte  » la face cachée du pétrole », outre l’histoire ( sur un siècle environ) des interventions de gens hauts placés politiquement et administrativement nous font part de déclarations éclairantes, notamment à propos de la guerre en Irak et du règlement du conflit Palestine /Israel.

    Je ne fus donc pas étonné de voir Obama recevoir les dirigeants Palestiniens et Israeliens à la maison blanche au même moment où les troupes US se retirent d’Irak ( quasi le même jour), une phrase dans le document Arte nous permet de comprendre pourquoi…

    http://videos.arte.tv/fr/videos/la_face_cachee_du_petrole-3390828.html

  4. Bonsoir à tous. Sur le livre de Robert Badinter, j’ai trouvé quelques liens. Cela donne ;

    * http://www.republique-des-lettres.fr/836-robert-badinter.php
    La République des Lettres ; Sur le livre de Badinter.

    * http://www.revue-lebanquet.com/pdfs/c_0000194.pdf
    Le Banquet ; Sur le livre de Badinter.

    * http://chs.revues.org/index973.html#ftn1
    Crimes, Histoire & Société ; Les juristes français et le régime de Vichy : à propos de deux ouvrages récents

    * http://cosal.net/index.php?page=archives/actu&id=3880
    COSAL. L’ORDRE DES AVOCATS DE PARIS ET L’UNION DES JEUNES AVOCATS : LE RENDEZ-VOUS DE LA MÉMOIRE : Un arrêt de la Cour d’Appel de PARIS du 22 octobre 2009 déjoue une grossière opération de falsification de l’Histoire

    * http://www.badinter.com/2009/06/barreau-de-paris-hommage-%C3%A0-pierre-masse-190509.html
    Badinter. Hommage à Pierre Masse.

    * http://www.remydegourmont.org/vupar/rub1/louisthomas/louisthomas.doc
    ou
    http://74.125.155.132/scholar?q=cache:X5zhTO-u42QJ:scholar.google.com/&hl=fr&as_sdt=2000
    Andries Van den Abeele. LOUIS THOMAS, ou le voisinage du Capitole et de la roche tarpéienne 1885 – 1962

    * http://chs.revues.org/index940.html
    Crimes, Histoire & Société ; La « Cour du 19 août 1944 » : essai sur la mémoire policière
    Jean-Marc Berlière

    * http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=AJ_411_0090
    CAIRN. L’exclusion des avocats juifs en Tunisie pendant la Seconde Guerre mondiale. Claude Nataf.


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