L’Ecole Latino-Américaine de médecine aujourd’hui (1/5), par Don Fitz


source : The Monthly Review, Février 2011

traduit de l’anglais et présenté par Marc Harpon pour Changement de Société

Fondée par Paul Sweezy et Leo Huberman, la Monthly Review est une revue marxiste indépendante à laquelle participent de nombreux universitaires américains. Depuis son premier numéro en 1949, elle a publié des contributions de plumes aussi prestigieuses qu’Albert Einstein, Joan Robinson ou W.E.B. Dubois. Elle est aujourd’hui dirigée par le sociologue John Bellamy Foster, de l’Université de l’Oregon. L’auteur de l’article est un militant écologiste américain. Il dirige la rédaction du journal écologiste Synthesis/Regeneration: A Magazine of Green Social Though et est le producteur du programme télévisé Green Time, consacré à l’écologie.

Une révolution ne parvient vraiment au succès que quand la nouvelle génération prend le relais de l’ancienne. Quand des milliers d’étudiants s’associent dans leur détermination à aider autrui dans une école construite pour leur permettre d’atteindre ce but, il y a un espoir que les jeunes continuent la lutte.

Les étudiants jouent un rôle central à L’Ecole Latino-américaine de Médecine (Escula Latinoamericana de Medicina ou ELAM), l’école de médecine fondée il y a douze ans à Santa Fe, à Playa, à 90 minutes d’autobus de La Havane. Avec le coût de leurs études couvert par l’État cubain, des étudiants apprennent une nouvelle conception des relations sociales liées à la pratique médicale, conception dont ils auront besoin dans leur travail dans des communautés défavorisées de leur pays.

La médecine internationaliste : un rêve révolutionnaire

Dans son article, « Le médecin révolutionnaire cubain » Steve Brouwer décrit la vision qu’a eue Che Guevara en 1960, un an après la Révolution Cubaine. Après avoir observé que de nombreux médecins diplômés ne voulaient pas travailler dans les zones rurales, le Che a imaginé de former des campesinos à devenir médecins pour qu’ils « aillent aider immédiatement leurs frères avec un enthousiasme sans faille ». [1] Cette année là, Cuba a envoyé des équipes médicales au Chili pour aider après une tremblement de terre majeur. [2] Le premier contrat médical de Cuba a permis l’envoi d’une brigade médicale en Algérie en 1963 [3]. En 1998, quand les ouragans Mitch et Georges ont dévasté les îles des Caraïbes et l’Amérique Centrale, Cuba a envoyé des médecins et du personnel paramédicale. Fidel Castro a alors proposé d’étendre le nouveau Programme Intégral de Santé (Programa integral de salud) par la création de l’ELAM, en 199.

La capacité qu’a Castro d’inspirer des changements ne doit pas être sous-estimée. J’ai rencontré Exa Gonzalez, une étudiante de sixième année à l’ELAM, dans un avion pour La Havane en décembre 2009. Elle avait étudié l’art et le cinéma au lycée en Basse Californie, au Mexique. Adolescente, elle a fait deux voyages à Cuba avec ses parents, membres du Parti du Travail (Partido de Trabajo, ou PT). Durant son second voyage, en 2001, Fidel a décrit l’ELAM à la délégation du PT, ce qui a inspiré à Exa son changement de cursus et son choix de la médecine. Elle est entrée à l’ELAM en 2002, à l’âge de 19 ans, et a passé sa première année en classe préparatoire, étudiant la biologie, la chimie et la physique. [4]

Le Progrma Integral de salud de Cuba s’est étendu radicalement en 2003, quand la Fédération Médicale Vénézuelienne a tenté d’entraver les efforts du Président Hugo Chavez de fournir des soins aux communautés défavorisées. La coopération entre Cuba et le Venezuela a donné naissance au programme « Au coeur du quartier » (Barrio Adentro), conduisant dix-mille médecins cubains dans ce pays en moins d’un an. [5]

Quand Katrina a frappé la Nouvelle-Orléans en août 2005, Castro a mobilisé des centaines de diplômés de l’ELAM et de médecins cubains pour aider. Le président étasunien George Bush a refusé même de prendre en considération ce geste de bonne volonté. Un ami m’a dit que c’était sûrement un coup de pub de Castro, puisqu’il savait que Bush n’accepterait pas. J’ai répondu que, étant donné l’ampleur et la profondeur de l’aide médicale cubaine aux pays d’Amérique Latine, de la Caraïbe et d’Afrique, Cuba aurait tenu pour une honte d’ignorer la détresse d’une ville étasunienne à deux brassées de ses côtes. Le nombre élevé de médecins généralistes à Cuba rend possible un déploiement rapide après des désastres comme Katrina.

Les médias étasuniens ont continué à insulter la solidarité médicale cubaine avec le tremblement de terre de 2009 en Haïti. Tandis que les médias privés surévaluaient l’aide étasunienne, ils négligeaient sérieusement les efforts de Cuba, au point qu’ils ont présenté un médecin cubain comme « espagnol » [6]. En fait, depuis l’ouragan Georges en 1998, Cuba a envoyé des centaines de médecins dans l’île voisine d’Haïti. Cuba forme également des médecins haïtiens depuis l’ouverture de l’ELAM. La seule obligation est qu’une fois diplômés, les haïtiens acceptent de rentrer chez eux pour prendre la place des médecins cubains (plutôt que de déserter et de chercher un emploi aux Etats-Unis ou en Europe).

Cuba a déjà formé 550 médecins haïtiens et il y a 567 étudiants haïtiens à l’ELAM. En conséquence des efforts cubains, Haïti a connu une baisse de plus de 50% de la mortalité infantile, de la mortalité en couche, et de la mortalité juvénile et, entre 1999 et 2007, une augmentation de l’espérance de vie, de 54 à 61 ans. Comme l’a dit le président Haïtien René Préval [] : « Vous n’avez pas eu besoin d ‘attendre un tremblement de terre pour nous aider » [7]

Durant les trois premiers jours après le tremblement de terre, les médecins cubains ont fourni plus d’aide médicale qu’aucun autre pays. En plus des diplômés de l’ELAM déjà en Haïti, 184 étudiants haïtiens de l’ELAM (avec des diplômés étasuniens de l’école) sont venus aider. « Cuba a vite dirigé un personnel médical de 15000 personne en Haïti » [8], contre 550 personnes pour les États-Unis au même moment. Et, tandis que les États-Unis avaient traité 871 patients, le personnel formé par Cuba en avait soigné 227 143. Bien sûr, après quelques semaines,Haïti ne faisait plus les gros titres et la plupart du personnel civil américain était partie. Mais, de même qu’ils étaient présents avant le désastre, de même les cubains sont restés après, non seulement pour traiter des patients mais aussi pour continuer à aider à construire un nouveau système de soins.

Haïti est simplement l’exemple le plus récent de l’énorme travail médical international de Cuba. D’après le site internet de l’ELAM, il y a 52 000 travailleurs médicaux cubains offrant actuellement leurs services dans 92 pays [9]. Cela signifie que Cuba a plus de médecins travaillant à l’étranger que l’Organisation Mondiale de la Santé ou l’ensemble des nations du G 8. Ainsi, « en 2008, le personnel médical cubain couvrait70 millions de personnes dans le monde ». De plus, près de deux millions de personnes hors de Cuba doivent leur « vie à la disponibilité de services médicaux cubains ». (10]. L’esprit de solidarité internatinale est au cœur de l’enseignement à l’ELAM. Comme l’annonce son site internet : « Le travail que font les diplômés de l’ELAM aujourd’hui dans tous les pays du monde constitue un exemple d’internationalisme et de solidarité humaine. C’est un symbole de l’amour de la vie et de la justice sociale sans précédent dans l’histoire » [11]

[1] Steve Brouwer, “The Cuban Revolutionary Doctor: The Ultimate Weapon of Solidarity,” Monthly Review 60 no. 8 (January 2009): 28-42.

[2]ohn M. Kirk and Michael H. Erisman, Cuban Medical Internationalism: Origins, Evolution and Goals (New York: Palgrave Macmillan, 2009).

[3]Escuela Latinoamericana de Medicina (ELAM), http://elacm.sld.cu/index (retrieved July 8, 2010).

[4] Interview with Exa Gonzales, in flight over the Gulf of Mexico, December 28, 2009.

[5] Brouwer, “The Cuban Revolutionary Doctor,” 28-42.

[6] All information on Haiti is from Emily J. Kirk and John M. Kirk, “Cuban Medical Aid to Haiti: One of the World’s Best Kept Secrets,” Synthesis/Regeneration: A Magazine of Green Social Thought No. 53 (Fall 2010).

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Escuela Latinoamericana de Medicina (ELAM), http://elacm.sld.cu/index.html.

[10] Kirk and Erisman, Cuban Medical Internationalism, 3, 169, 112.

[11] Ana Fernández Assán, Escuela Latinoamericana de Medicina (ELAM), http://elacm.sld.cu/index.html (retrieved July 8, 2010).

6 commentaires

  1. Quand la communauté internationale reconnaîtra ce gigantesque exemple de solidarité et d’humanité?

  2. Ajoutons qu’il y avait des medecins cubains à l’etranger avec leur famille et qu’ils n’en profitaient pas pour ne pas retourner à Cuba alors qu’ils pouvaient gagner beaucoup plus en ne rentrant pas à Cuba.Il faut souligner que les medecins cubains soignent les pauvres et qu’ils sont eux memes pauvres au point que les specialistes ne peuvent pas se payer les livres de medecine et qu’il sont obligés de les emprunter aux bibliotheques universitaires.Medcins sans frontieres et medecins du monde pouraient profiter de leur notoriété pour organiser une collectes de fonds pour offrir à leurs collegues cubains des livres de medecine specialisés

    • C’est à vérifier mais il me semble que les internationalistes cubains ne partent pas avec leurs familles.

      • J’ai en tete les meddecins cubains en mission dans les années 60,autant que je me souvienne en Algerie ils etaient en famille

  3. salut jaimerais étudier a l’ELAM je suis étudiant en 2ème anné de medecine a la faculté de l’université GAMAL ABDEL NASSER de conakry

  4. J’aimerais étudier à ELAM. J’espere pouvoir chérir ce reve!


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