COMAGUER, Chine : le dérangement du monde

06 Février 2010
Au fil des jours et des lectures n°57 par COMAGUER

Plusieurs annonces successives sur la belle santé l’économie chinoise ont semé le trouble dans la classe dirigeante occidentale :
– Le PIB de la République Populaire chinoise a augmenté de 8.7% en 2009, la progression la plus rapide du monde au moment même où les économies occidentales peinent à afficher un chiffre légèrement supérieur à zéro
– La Chine a ravi la place de premier pays exportateur à l’Allemagne qui , elle-même, avait pris la place des Etats-Unis depuis 2003
– La Chine devancera cette année le Japon qui était jusqu’en 2008 la deuxième économie mondiale derrière les Etats-Unis (PIB global)
Ces résultats prévisibles n’ont pas été une surprise pour les observateurs attentifs mais leur soudaine accumulation est de nature à produire dans les opinions occidentales un effet de choc bien propice à détourner l’attention des difficultés réelles des principales économies capitalistes et de leur très probable persistance.


Ils arrivent à point nommé pour agiter la « menace chinoise », pour donner à penser que la Chine veut gouverner le monde et pour justifier la brutale offensive diplomatique de l’administration OBAMA contre la République populaire : livraisons d’armes à Taiwan, réception du Dallai Lama à la Maison Blanche sans oublier la déstabilisation du Pakistan, fidèle allié de la République populaire.
Dans ce climat d’agitation politique, la raison perd vite ses droits. Quelques exemples
1- Démesure dans le commentaire :
Que le PIB de la Chine soit égal ou un peu supérieur à celui du Japon ne peut pas faire oublier que les Chinois sont dix fois plus nombreux que les japonais et qu’en conséquence le PIB chinois par tête est 10 fois plus petit que celui du japonais. Rien ne peut mieux justifier la position du gouvernement chinois qui considère son pays comme un pays en voie de développement.
2 – Incohérence 1 (souvent pratiquée par une certaine « gauche »)
La Chine est « passée au capitalisme ». Comment expliquer alors les brillants résultats de l’économie chinoise alors même que les pays capitalistes les plus avancés et les plus fiers de leur modèle capitaliste au point de vouloir en faire « bénéficier » (de gré ou de force) l’humanité entière, s’enlisent dans la stagnation et l’endettement .
2- Incohérence 2 (plutôt pratiquée par les chroniqueurs économiques)
La puissance exportatrice de la Chine est le résultat de la manipulation de sa monnaie, le yuan, par le gouvernement chinois qui refuse de la réévaluer. (voir également à ce sujet l’article ci-après de l’économiste chinois FAN GANG). Or il suffit d’observer les mouvements erratiques des trois grandes monnaies capitalistes: le dollar US, l’Euro et le Yen, les unes par rapport aux autres pour voir que l’instabilité des taux de change est une donnée fondamentale de l’économie capitaliste mondialisée. Cette instabilité étant la conséquence de la sacro-sainte « indépendance des banques centrales » et de la libre spéculation internationale sur les devises, on voudrait faire oublier qu’un Etat qui laisse sa monnaie entre les mains d’une institution indépendante n’est plus vraiment souverain.
Face à cette confusion idéologique, la lecture attentive de points de vue d’experts chinois est rassérénante car elle fait apparaitre que l’Etat chinois garde la tête froide dans une période troublée où il est mis indûment en accusation. Tel est l’enseignement de la brève chronique du professeur FAN GANG publiée par LA TRIBUNE du Février 2010 que nous reproduisons ci-après.

LES RAISONS DE LA BELLE REPRISE ECONOMIQUE CHINOISE
Fan Gang (1)
Professeur d’économie à l’Université de Pékin
Directeur de l’Institut d’économie nationale
Secrétaire général de la Fondation d’études sur la réforme du système économique en Chine et membre du comité de politique monétaire de la Banque du peuple
On estime que le PIB de la Chine s’est accru de 8,7 % en 2009 en glissement annuel – une fois encore le taux le plus élevé au Monde – la hausse du quatrième trimestre étant plus élevée que celle du quatrième trimestre de 2008 (10,7% par rapport à 6,3%). Aux yeux du monde la capacité de la Chine à ignorer la crise financière mondiale et à maintenir sa trajectoire de croissance en 2010 et 2011 semble trop simple.
Or, protéger la croissance de la Chine a été tout sauf facile. Les politiques de relance fermes, décisives et prises au début de la crise ont joué un rôle majeur dans la reprise. Dès
Octobre 2008, le gouvernement chinois a adopté un train de mesures visant à empêcher l’économie de dériver plus. Le déficit budgétaire était à 3% du PIB en 2009, générant 3% de croissance du PIB, tandis que le déficit 2008 était nul. La politique monétaire soi-disant « souple et modérée » du pays a aussi joué un rôle, en permettant aux banques de prêter plus (+ 34% en 2009) avec une masse monétaire M2 (2) en hausse de 27%. Certes la croissance monétaire contient des risques : hausse inquiétante de l’inflation, bulle d’actifs dangereuse à l’horizon. Elle a cependant permis à la Chine de s’assurer que l’économie du pays n’allait pas tomber dans une récession vicieuse à la fin de la crise financière. Et les autres décisions visant à relancer la demande sur les marchés de l’immobilier et de l’automobile se sont aussi avérées efficaces.
La gestion de la crise par la Chine n’est cependant qu’une partie de l’histoire. Elle n’explique pas comment les autres pays, qui ont même pris des mesures plus vigoureuses, n’ont pas réussi à provoquer une reprise aussi vivace ni pourquoi le gouvernement chinois semble avoir plus de marge de manoeuvre que les autres. En fait, le budget de la Chine était excédentaire et le ratio dette publique/PIB était de 21% seulement avant la crise (il se monte aujourd’hui à 24 %) un ratio bien plus bas que celui des autres grandes économies.(3) Ceci a donné la possibilité aux dirigeants chinois de dépenser de l’argent pour surmonter la crise Puis le nombre des prêts en souffrance dans les banques chinoises était assez bas lorsque Lehmann Brothers’ s’est effondré, permettant aux dirigeants chinois de le laisser s’accroitre afin d’affronter la crise.
Qui plus est, l’économie chinoise se portait bien lorsque la crise mondiale a éclaté. Une gestion macroéconomique prudente – et ses ajustements précoces – datant de la croissance effrénée de la Chine a créé une place favorable pour le pays. L’économie chinoise prospérait depuis 2004 et les dirigeants ne se sont pas effacés pour « laisser le marché décider ». Au contraire, ils ont adopté des mesures contracycliques afin d’empêcher l’économie de surchauffer. La bulle dans l’immobilier s’est arrêtée fin Septembre 2007. Une bulle des marchés boursiers a été crevée le mois suivant. De plus, de nombreux projets locaux d’investissement ont été suspendus, tandis que des mesures pour ralentir la croissance des exportations nettes – y compris une réévaluation de 20% du yuan et une réduction importante des remises de droits de douane pour les exportations – a fait passer fin 2007 le taux de croissance annuel des exportations de 30% à 17%. En somme, c’est grâce aux ajustements que la Chine a mis en oeuvre un an avant la crise mondiale que son économie s’est relevée plus tôt que les autres. La morale est qu’il faut gérer les phases de prospérité avec habileté et qu’il faut surveiller et limiter la quête des financiers pour des rendements toujours plus élevés. Ceci vaut autant pour les économies développées que pour les économies en développement comme la Chine. Pour sûr, les autorités ont parfois ont parfois été plus que prudentes. Mais pour une économie qui balbutie encore, et pour une première génération de sociétés dotées d’un « esprit sauvage », il semble préférable d’être excessif dans la prudence que l’inverse. En fait, lorsque la croissance économique d’un pays dépasse les 9% de manière continue, les dirigeants ne sont vraisemblablement jamais trop prudents.
Notes et commentaires
(1) Le Professeur FAN GANG s’était déjà signalé en 2005 à Davos où il avait critiqué l’instabilité monétaire capitaliste
(2) La masse M2 est la somme des liquidités (argent liquide, comptes courants et comptes d’épargne liquide)
(3) Le Ratio dette publique /PIB atteint 53% en 2009 aux USA
En France (projet de budget 2010) : 73%
Il est plus élevé encore dans la plupart des pays de la zone Euro et il a été beaucoup question ces jours-ci du cas de la Grèce qui, bien que ce pays ne représente que 1% du PIB de l’Union européenne, mettrait en péril l’Euro (pour le plus grand bonheur des spéculateurs) .
Au Japon il s’approche des 200%
Cette brève analyse démontre une compréhension profonde de la situation économique d’ensemble, celle de la Chine et celle du monde extérieur. Elle souligne utilement que la Chine avait, en laissant monter le yuan, entrepris de corriger la place excessive prise par les exportations dans son économie et elle rappelle au détour d’une phrase – en rouge dans le texte – que ce ne sont pas « les marchés » qui gouvernent la Chine, mais le gouvernement. Enfin elle se termine sur quelques réflexions de morale publique très simple qui ne prédestinent pas son auteur à être primé pour le NOBEL de l’économie (réservé presque exclusivement aux modélisateurs des placements sur les fameux « marchés ») mais qui a le mérite de souligner que toute économie est politique ou comme auraient dit les maoïstes auparavant que « la politique est au poste de commande ».

3 commentaires

  1. Je sais bien qu’il faut du génie ne serait-ce que pour administrer la Chine — qui représente un quart de l’Humanité — sans parler de la gouverner. Le succès économique ne peut donc pas être laissé à la chance ou aux « forces du marché », comme on dit. Quoique les conditions de travail des employés et des ouvriers ne soient pas idéales en Occident, loin de là, je me demande si elles ne sont pas encore plus dures en Chine. À mon avis c’est un dilemme, car on ne peut pas s’alimenter et se vêtir et se protéger des intempéries et se divertir et se cultiver sans industrie et commerce… La question de la propriété des moyens de production ne semble pas encore réglée, n’est-ce pas ? Vu de l’extérieur, il semble que la propriété collective soit tout-à-fait inefficace, qu’il faille passer par l’instinct de profit…

    Je me pose aussi la question de la « délocalisation » de la production, dans ce sens : quand les ouvriers Chinois exigeront les mêmes salaires qu’en Europe il ne sera plus possible de tenter d’aligner les salaires des ouvriers européens sur ceux des Chinois, et il s’établira un nouvel équilibre. Je rêve…

    Quoi qu’il en soit, je suis heureux que la Chine « dérange » le confort intellectuel et l’arrogance des États-Unis et de l’Europe « libérales », et sans souhaiter leur faillite, j’espère que ces chiffres les pousseront à modifier l’esprit d’affrontement.

  2. Je suis un peu surpris par le commentaire précédant de Gilles.

    Les Inuits ont une vingtaine de mots pour dire « blanc », les habitants des déserts probablement autant pour désigner les « dunes ». On peut trouver d’innombrables exemples analogues propres à ce qu’il faut bien nommer les cultures dont ils sont issus.

    Dans ceux que je donne la raison est simple, c’est la survie qui est en jeu : se tromper d’orientation quand il fait -40 ou +50, est généralement fatal, et très vite. Il y a donc nécessairement une attention particulière des gens qui vivent dans ces milieux aux plus infimes détails de leur environnement qui peuvent leur permettre de s’y orienter.
    Ils perçoivent tout naturellement, si j’ose dire, tout-à-fait autre chose que nous, quand nous y allons avec nos 4×4, gps, portables pour appeler l’hélico de secours au cas où et tout notre fourbi habituel…
    Et s’ils perçoivent autre chose, ils le pensent aussi autrement, c’est assez évident. C’est ça, une autre culture, et ça va jusque dans la perception (la vision, l’audition…) de la réalité.

    Si on commence par remarquer que la Chine est une civilisation aussi ancienne que la nôtre (Confucius est un contemporain de Platon !), on ne sera guère étonné qu’il est parfaitement illusoire de vouloir analyser la pensée chinoise, même contemporaine, en se bornant à utiliser nos propres catégories.

    Et je ne serais guère étonné d’apprendre, a contrario, que si les Chinois réussissent « si bien », c’est en grande partie à cause de leur « déchéance » qui leur a donné le temps et leur a permis d’étudier et d’essayer de comprendre le fonctionnement du monde occidental.

    Ce que nous n’avons jamais cru utile de faire à l’égard des autres (nous sommes les meilleurs, c’est évident).

    Mais de croire qu’ils s’y seraient purement et simplement convertis, au détriment de leur culture, me paraît d’une immense naïveté.
    Un exemple tout simple : la médecine chinoise (ou l’écriture). Ça fonctionne sur des principes issus de ce que Philippe Descola nomme l’analogisme, le mode chinois (et indien, d’ailleurs) de conception du monde. Notre médecine à nous fonctionne selon des principes naturalistes, apparus relativement récemment, en gros au XVII siècle (Copernic, Newton, Descartes, etc.).
    L’analogisme et le naturalisme sont deux modes de pensée radicalement autres…

    Pour en savoir un peu plus, pas sur la Chine, mais sur ces différences fondamentales :
    Philippe Descola : Invariants anthropologiques et diversité culturelle : http://www.canal-u.education.fr/producteurs/universite_de_tous_les_savoirs/dossier_programmes/les_conferences_de_l_annee_2002/la_diversite_de_la_vie/invariants_anthropologiques_et_diversite_culturelle


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