La nécessité de comprendre ce qui se passe dans la population: les retenues de patron dans les entreprises… danielle Bleitrach

1901996050-la-sequestration-de-patrons-est-typiquement-francaise11Alors que se multiplient les analyses sur la nature de la crise, sur ses aspects économiques et même politique, rares sont les écrits qui se préoccupent réellement ce qui se passe dans les populations qui subissent les premiers effets de la dite crise. Pourtant il est clair que dans le monde entier monte la colère et se multiplient les protestations. En France, nous le mesurons, il y a eu de puissantes manifestations, journées d’action mais l’on voit également apparaître un phénomène que les commentateurs considèrent comme typiquement français: les retenues des patrons et des cadres par les travailleurs exaspérés.   Comme le signale le site WSWS en français dans un article signé par Antoine Lerougetel(1), les travailleurs de Caterpillar retiennent les cadres de l’entreprise et le même article note d’ailleurs que Caterpillar n’est pas la seule entreprise où il y a eu de telles retenues.
Avant de reproduire des extraits de l’article de WSWS que je trouve bien documenté et de surcroît présentant une analyse intéressante, je voudrais signaler deux choses. Il est fait à propos de ces luttes référence à mai 68 et à une certaine radicalisation à l’époque de groupes en général maoïstes, mais une telle analogie me paraît inexacte ne serait-ce que parce qu’aujourd’hui le ministère du Travail révèle qu’il y aurait actuellement en France 2 millions 380 000 chômeurs. Mais selon l’agence AFP, le nombre réel de chômeurs atteindrait les 3 millions 400 000 personnes, en tenant compte des travailleurs à temps partiel, ce qui n’était pas le contexte de 68. Autre différence, en mai 68, la France entière était arrêtée et ces pratiques pouvaient acquérir une légitimité tout à fait différente de celle d’aujourd’hui(2). Ce sont des îlots où se déclenche la colère contre le patronat face en général à la menace de la perte d’emploi, nous ne sommes pas dans le cadre d’une mobilisation générale et donc dans la conquête de droits et de forme de luttes nouvelles établissant ces droits.

 Ces îlots pourraient subir la rigueur de la loi d’une manière difficilement envisageable dans le mouvement de mai 1968. En fait parler de « retenue » est important parce qu’il existe en France une loi contre la séquestration qui peut faire encourir aux travailleurs des peines très lourdes.  Mais ce qui est intéressant c’est justement de voir  en quoi des pratiques qui partent de la base et remettent en cause les institutions et le droit sont considérées comme légitimes et par rapport à quoi. Dans ce domaine la référence à mai 68 n’explique rien, le contexte, les risques tout est différent.
La loi est claire, «le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.» Mieux vaut ne pas retenir un patron trop longtemps. La peine de 20 ans est réduite à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende si la victime est libérée avant le septième jour sans atteinte physique.

« Les travailleurs des deux usines Caterpillar de Grenoble en France ont retenu dans leurs bureaux cinq cadres de leur direction mardi matin et les ont gardés jusqu’à une heure de l’après-midi le jour suivant. Les travailleurs sont en grève depuis lundi.

Lundi et à nouveau le mardi, la direction avait boycotté des réunions du comité d’entreprise appelées par les syndicats pour discuter d’un plan impliquant 733 licenciements sur un personnel comptant 2800 personnes sur les sites de Grenoble et Echirolles. Un peu plus tôt cette année, Caterpillar, basé aux Etats-Unis, le plus important fabricant au monde d’engins de terrassement et de construction avait annoncé qu’il licencierait 22 000 travailleurs dans le monde entier.

Les travailleurs français ont retenu en otages 5 cadres de direction pour forcer l’entreprise à négocier. »

 « La prise en otage des patrons de Caterpillar fait partie d’une série d’actions similaires qui se sont produites dernièrement en France.

En février 2008, les travailleurs de BRS à Devecey avaient pris leur patron en otage parce qu’il avait essayé de délocaliser toutes les machines de son usine vers la Slovaquie sans les en avertir.

Le mois suivant, des travailleurs de l’usine Kléber de Toul avaient retenu deux dirigeants afin d’obtenir de meilleures indemnités de licenciement.

En mars de cette année, le patron de Sony France avait été retenu de force dans l’usine de Pontons-sur-Adour. Deux semaines plus tard c’était au tour du patron de l’usine 3M de Pithiviers près d’Orléans. Ces deux actions étaient des tentatives pour obtenir des concessions de la direction sur les indemnités de licenciement.

Mardi dernier, François-Henri Pinault, PDG milliardaire du groupe de magasins de luxe PPR a dû être libéré par les CRS après que des travailleurs l’avaient bloqué dans son taxi pendant plus d’une heure et demie après une réunion. Ils protestaient contre l’annonce de 1 200 suppressions d’emplois dans ses magasins.

L’entreprise allemande de pneumatiques Continental est en train de fermer deux usines en France et une autre en Allemagne. Les travailleurs de l’usine de Clairoix près de Paris, furieux que l’entreprise n’ait pas respecté sa promesse de maintenir les emplois jusqu’’en 2012 après que les travailleurs avaient fait des concessions considérables en 2006 ont fait irruption lors d’un conseil d’administration qui se tenait à Reims le 16 mars et ont jeté des oeufs et des chaussures sur leurs patrons. L’entreprise a été contrainte mardi de tenir sa réunion du comité central d’entreprise à 1000 km de là, dans un hôtel de Nice, avec des consignes de sécurité très strictes. 

Lundi dernier, des délégués syndicaux négociant des plans de licenciement et de fermetures à l’usine FCI Microconnections de Mantes-la-jolie à proximité de Paris, ont retenu deux de ses directeurs dans la salle de réunion pendant 4 heures jusqu’à ce que la police intervienne. Les délégués étaient soutenus par 40 des 150 travailleurs qui sont en grève « préventive » avec piquet de grève 24hsur 24 depuis six semaines afin d’obliger l’entreprise à révéler ses projets.

Les directeurs de FCI avaient refusé de fournir de garantie d’emploi au-delà de 2010. L’un des travailleurs a dit, « La vie, ça se résume pas à 2009-2010. On a des vies à vivre. »

Il faut garder en mémoire les risques encourus, le fait que l’action n’est pas proposée par des syndicats qui ne peuvent l’ignorer mais par des ouvriers qui sont confrontés au refus de négocier , à l’arbitraire de ce refus qui redouble l’arbitraire de l’assaut menée contre leur vie. L’avocat pourrait plaider la légitime défense. Ce qu’il faut bien mesurer c’est non seulement l’ampleur de l’attaque contre l’emploi et les salaires, la déferlante des suppressions, mais chacun perçoit bien que ce n’est qu’un début. Les dernières estimations parlent de 400.000 pour l’année mais le chiffre des prévisions ne cesse d’être réajusté à la hausse.

Toutes les fermetures d’usine, les licenciements peuvent donner lieu à des pratiques désespérées, ce sont les luttes les plus dures . Mais ce qui joue certainement un rôle aggravant c’est la conscience de l’étendue dans le temps et dans l’espace de la mise au chômage, cette crise s’est d’abord présentée comme financière, et pour beaucoup elle n’atteignait que ceux qui avaient des avoirs en banques, des actions. Rien n’a été fait pour conscienser les travailleurs pour les prévenir, non seulement les médias, le patronat, le gouvernement se sont employés à minimiser la nature de cette crise, mais la gauche n’a pas eu une stratégie plus active, les syndicats non plus. Comme la nature du mal échappe il paraît de l’ordre du cataclysme et sa portée réelle devient de plus en plus inquiétante.

Face à la multiplication de ces explosions de colère si nous ne sommes pas dans la situation de grève générale de mai 1968, il est d’autant plus important de considérer que la question de la légalité ou de l’illégalité de l’action n’a plus de sens et que c’est cela sans doute le phénomène essentiel. Il faut insister sur le rôle joué par ce que l’on a découvert des pratiques des banquiers et des dirigeants d’entreprise, les parachutes dorés, les bonus quant aux pratiques de retenues ou de « séquestration ». Ces bonus ou stock options, ou retraites richissimes ne sont qu’une goutte d’eau dans la catastrophe financière et le système qui a été mis en place, à commencer par la manière dont les Etats-Unis ont activé la planche à billet, la fièvre de l’enrichissement à bon compte a saisi ce monde-là et le gouffre est abyssal. Il n’empêche le facteur subjectif parce que maîtrisable intellectuellement ce sont les pratiques patronales, elle sont en quelques sorte le collier de la reine d’une révolution à venir.

Il y a également par rapport à cette colère un univers complètement désorganisé, vingt ans et plus de destruction de tout collectif, y compris dans le monde du travail où se sont multipliés volontairement les formes d’individualisation, les méthodes d’isolement. Si en mai 1968, il existait des gens qui dénonçaient la « trahison des syndicats » de la CGT en particulier, c’était sur un fond de scepticisme général parce que ce qui dominait c’était l’existence d’un syndicat de classe lié à un parti révolutionnaire en qui l’immense majorité avait confiance. Là on a le sentiment que la colère balaye les limites que jadis le syndicat s’employait à faire respecter entre légal et illégal. Les frontières sont effacées, face au licenciement le droit devient illégitime. Le travailleur est confronté non seulement à la violence de la perte d’emploi, à des lendemains sans espoir de trouver un autre emploi, mais à une stratégie patronale qui mène le monde à sa perte. Il est en quelque sorte en plein dans la vague de la mondialisation sans avoir été le moins du monde prévenu.WSWS insiste sur la « trahison » syndicale, il n’y a de trahison que quand il y a eu engagement et il est clair que la plupart des organisations existantes ne s’étaient pas engagées à prendre les mesures « politiques » qui aujourd’hui s’imposent. Il n’y a pas trahison mais incapacité à dégager de cette situation un noyau de vérité comme l’on dit de la science en train de se faire, incapacité à comprendre. C’est ce qui m’a personnellement frappé dans tous les Congrès récents, j’avais devant moi des gens respectables, des gens qui se croyaient encore militants et qui parfois l’étaient(3), mais pourquoi étaient-ils incapables de se situer dans le hors champ du politico-médiatique, des tactiques minables, des ruses sordides. Si les communistes ont une finalité c’est pourtant celle de sortir de ce champ là et de proposer quelque chose dans des possibles encore inaperçus. Pourquoi étaient-ils incapables de saisir ce qui déferlait et de comprendre ce qui naissait. Donc les accuser est vain.

WSWS explique ce conflit dans la multinationale qu’est Caterpillar

« L’entreprise produit de gros engins de terrassement et de construction en France et fournit aussi des véhicules blindés pour l’armée britannique et plusieurs autres pays. Elle produit les bulldozers blindés D9 utilisés par l’armée israélienne pour raser les logements palestiniens.

Le PDG de Caterpillar James Owens avait été nommé par George W. Bush à un conseil consultatif de négociations commerciales et est célèbre pour sa course au profit impitoyable par le biais d’attaques contre les emplois et les conditions de travail. Il était, selon le classement de Forbes, au 181e rang dans la ligue des plus hauts salaires de PDG en 2008, engrangeant 17 millions de dollars. Il avait soutenu le rival républicain de Barack Obama, John McCain lors de la course à la Maison-Blanche. Ceci n’a pas empêché Obama de le nommer à l’Economic Recovery Advisory Board (Conseil consultatif pour la reprise économique) avec pour tâche de restaurer la profitabilité des grandes entreprises par la destruction des acquis sociaux et du niveau de vie de la classe ouvrière.

En janvier, en réponse à la dégradation des perspectives économiques, Caterpillar qui a fait état de 3,5 milliards de dollars de profit l’an dernier, a annoncé la suppression immédiate de 5 000 emplois, dont 733 en France et la suppression totale de 22 000 postes dans le monde. L’entreprise prévoit une chute de 55 pour cent des commandes entre 2008 et 2009.

Nicolas Polutnik, PDG de Caterpillar France a affirmé à maintes reprises que les usines françaises ne pourront être sauvées que grâce à ces suppressions d’emplois. Il a dit à la presse : « Il faut absolument que nous gardions les intérêts de l’entreprise sous peine de gérer non pas 733 suppressions d’emplois, mais la totalité. »

Mercredi, la direction a accepté de reprendre les négociations et proposé de ne pas faire de retrait de salaire pour les trois jours de grève si les syndicats mettaient fin à la grève. La direction propose en guise d’indemnité de licenciement 60 pour cent du salaire mensuel par année travaillée, avec un plafonnement à 10 000 euros. »

Si l’analyse de WSWS aboutit à l’idée que ce conflit témoigne de « l’échec total de la réponse syndicale face à l’ampleur de la catastrophe confrontant la classe ouvrière. Les délégués de la CGT (Confédération générale du Travail) proche du Parti communiste, ont dit qu’ils maintenaient leur demande d’une somme globale de 30 000 euros d’indemnité de licenciement pour tous les travailleurs licenciés, quelle que soit leur ancienneté, plus trois mois de salaire pour chaque année travaillée, ainsi que la garantie que l’entreprise ne ferme pas. » I l me semble que cette analyse de l’échec total de la stratégie syndicale n’est pas inexacte mais pèche là encore par une vision désormais dépassée, proche de ce que fut 68, du conflit ouvrier tant de la part des militants trotskistes de WSWS que du syndicat confronté à une situation inédite.

En effet, il n’existe plus la situation qui a longtemps caractérisé la France où un parti communiste apportait des perspectives, des analyses alors même que la conscience d’appartenir à un monde globalisé devient de plus en plus forte. C’est vrai depuis longtemps et l’enfermement du PCF,( et au-delà toute la gauche, toutes obédiences confondues) dans l’hexagone, voir en Europe, l’ignorance totale de ce qu’était la mondialisation capitaliste a fait que deux phénomènes qui ont pourtant pesé sur le monde ouvrier n’ont jamais pu être analysés politiquement, je veux parler des délocalisations et de la question de l’immigration. Ce qui est vrai c’est que plus montera la conscience de l’ampleur et de la durée de cette crise, de l’absence de solutions alternatives plus paraîtront dérisoires les négociations des indemenités de licenciement mais dans le même temps va monter le recours vers l’Etat, et ce n’est pas à négliger parce qu’il y a là la base d’une vision de la protection collective qui rompt avec des années d’éducation à l’individualisme.

Dire comme l’article de WSWS dans les paragraphes suivants que le syndicat se contente de faire appel à l’Etat dont on ne peut rien espérer est un peu court : « Comme on le voit clairement avec la focalisation des syndicats sur la négociation des indemnités de licenciement, ils n’ont aucune perspective pour combattre les pertes d’emplois. Leur faillite apparaît clairement dans « l’appel solennel » à Sarkozy lancé par l’intersyndicale de Grenoble mercredi matin. Il en appelle au président Sarkozy pour le déblocage des fonds prévus par le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation pour les victimes des licenciements, un fonds disposant de 500 millions d’euros par an, pour « soutenir la possibilité d’un redémarrage rapide de notre entreprise et de nos sous-traitants. »Cet appel lu à la presse demande à Sarkozy une modification des textes législatifs concernant le déblocage des fonds afin qu’ils puissent être utilisés pour financer un contrat négocié avec Caterpillar « sous forme de prêt. » Actuellement, le règlement subordonne le déblocage à une demande de subventions uniquement affectées à la réinsertion professionnelle des travailleurs licenciés.Ce document poursuit, « Sans un effort du groupe américain et de l’Union européenne aucun débouché ne pourra être trouvé pour réduire les licenciements et permettre à ceux qui le souhaitent de partir dans la dignité. »

Sarkozy a rapidement réagi à l’appel de l’intersyndicale de Caterpillar, promettant sur radio Europe1, « Je vais sauver le site. Je recevrai cette intersyndicale puisqu’ils m’ont appelé au secours (…) On ne les laissera pas tomber. » Les travailleurs de Caterpillar France devraient se souvenir des promesses faites par Sarkozy le 4 février de l’année dernière aux sidérurgistes de l’aciérie Arcelor Mittal de Gandrange où 575 d’entre eux devaient être licenciés. Ces mêmes travailleurs ont aujourd’hui perdu leur emploi et mardi ils manifestaient dénonçant « l’imposture et la trahison » de Sarkozy et du PDG d’Arcelor, Lakshmi Mittal. Sarkozy a déclaré, « C’est quand même pas de ma faute (…) si, comme il y a moins de croissance, il y a moins de consommation de fer. »

L’analyse n’est pas inexacte mais elle ne va pas jusqu’au bout, qu’est ce que propose en effet WSWS:

« Imprégnés d’une culture de « défense » des intérêts des travailleurs par la défense des intérêts des patrons et des représentants politiques du capital, les syndicats mettent en avant la perspective que pour s’opposer au chômage il faut aider la classe capitaliste à faire des profits.

Il ne peut y avoir d’issue positive que si les travailleurs de Caterpillar rompent avec la connivence existant entre les syndicats et le gouvernement et les patrons. Rejetant tout accord fondé sur l’acceptation des pertes d’emplois, les travailleurs doivent construire des organisations de lutte de classes, indépendantes, dans leurs usines et sur leur lieu de travail, s’associant à d’autres travailleurs par delà les frontières. »

Nous en revenons à la conception fausse selon moi de la « trahison » , il faudrait plutôt y voir un besoin urgent d’organisation et l’incapacité encore de percevoir quel type d’organisation et à qui elle s’adresserait. La relation parti-syndicat qui a caractérisé non seulement le bolchevisme mais la social-démocratie a été taillée en pièce dans la phase néo-libérale. Il faut dire que les partis communistes y ont parfois mis de la complaisance et se sont acharné à détruire tout ce qui de près et de loin relevait du « despotisme » stalinien, mais ça a été pour mieux suivre la contre-révolution néo-libérale, éviter sans doute ce qui s’est passé en Amérique latine, les meurtres et les tortures pour instaurer cet ordre néo-libéral, détruire les résistances. Tout ce raisonnement sur la trahison présente  la lacune de ne pas s’interroger sur ce que peut révéler cet appel à l’Etat, là encore ne vide-t-on pas l’enfant avec l’eau du bain ? La forme parti et l’Etat par la même occasion. en France quelle a été la force politique qui a exigé la nationalisation en particulier du secteur bancaire, pas le paiement de l’entreprise par l’Etat c’était déjà fait, mais qui payait devait contrôler, était-ce si compliqué ?  Suffit-il de dénoncer Sarkozy et ses mensonges sans poser ce fait « l’Etat paye, nous devons en être propriétaire », qui a dit que c’était le seul moyen de rétablir la confiance ? Et de ce fait l’analyse de WSWS, une des plus intéressante de la période, a  le défaut de traiter en un paragraphe final ce qui devrait structurer toute la réflexion, la nécessité de construire une perspective politique, de faire avancer des solutions socialistes certes mais pourquoi et comment ? « De telles organisations doivent s’armer d’un programme pour la réorganisation socialiste de l’économie et l’appropriation sociale d’usines comme Caterpillar qui doivent être gérées comme des services publics sous le contrôle démocratique des travailleurs. » Oui bien sûr et c’est là toute la question.

Et c’est là que ce situe l’essentiel pas dans le constat de l’état de délabrement, voir de collaboration de classe des organisations ouvrières, mais bien dans une réflexion sur l’analyse de l’échec du capitalisme et une réflexion sur le fait que toutes les mesures prises doivent aller a contrario de ce qui s’est fait.  Si j’avais quelques pouvoir en ce domaine je lancerai partout une agit-pro sur la nécessité du socialisme. Nous avons des munitions pour ce faire, il y a la nécessité de bien faire comprendre la nature de la crise, ses causes, son importance. Le problème du socialisme tel qu’il est posé aujourd’hui non seulement en Amérique latine,  mais y compris par les Chinois doivent être débattu non pas pour chercher un modèle  mais bien pour aider les travailleurs à sentir qu’ils ne sont pas seuls, qu’un chantier existe. N’a-t-on pas assez donné dans le domaine de la table rase de toute expérience sociale et politique en matière de socialisme, qui peut-être convaincu alors qu’il y aurait seulement l’échec ou le néant? Est-il si indifférent que cela que le seul pays qui aujourd’hui puisse résister est un pays sous développé qui en un peu plus de cinquante ans est en train de devenir la deuxième puissance économique mondiale en se référant au socialisme, un pays que l’on connaît si mal ?  Ne pas se contenter de noter que Sarkozy les trompe mais en profiter pour revendiquer un autre pouvoir pas celui des banques , des patrons mais celui  des êtres humains, d’une planète en grand péril. Donner des contenus concrets à cette perspective ne serait-ce que l’appropriation collective des moyens de production, des banques… L’article a raison de noter la colère qui s’étend dans le peuple français, mais il a tort de ne pas mesurer que ce peuple est allé beaucoup plus loin que ce que l’on croit, et en m’interrogeant sur la multiplication de retenue des patrons, sur ce franchissement de la légalité en réponse à ce gigantesque viol de toute légalité qu’a mis à jour la crise financière, j’ai tenté de voir si ce n’était pas la légitimité d’une classe sociale qui s’effondre. Il serait dommage d’en rester au-delà non pas seulement parce qu’il y aurait « trahison » des organisations mais parce que l’on refuse de voir où en est le peuple.

Je pensais au texte de Marx sur les vols de Bois dans lequel il cite Montesquieu« Il y a deux genres de corruption, l’un lorsque le peuple n’observe point les lois, l’autre lorsqu’il est corrompu par les lois: mal incurable parce qu’il est dans le remède même » Séquestrer un patron dans l’entreprise qu’il est censé diriger, posséder, c’est non seulement mettre en cause ce Droit de possession puisqu’a été rompu le contrat de l’emploi, et que cela a été fait dans une arnaque généralisée, que le politico médiatique, ceux que l’on a coutume d’appeler « les élites » continuent à affirmer le seul mode possible. La seule chose qui maintient le système n’est-ce pas le fait que justement personne n’ose réellement le remettre en cause. Et ce la renforce l’absurdité inquiétante de la situation et c’est pourquoi si quelqu’un osait dans un tel contexte prétendre appliquer à ceux qui sautent le pas la rigueur de ce qui est prévu en cas de séquestration, cela paraîtrait si énorme, si injuste que tout le monde sent que tout pourrait alors basculer. Ce qui est en train de se brouiller c’est la frontière entre le légal et l’illégal tel que l’a affirmé un ordre séculaire. Quand on dit que nous entrons dans une crise à l’issue imprévisible, il faut bien mesurer que c’est souvent par des phénomènes de ce type qu’apparaissent les déchirures dans l’ordre établi.

Si on est convaincu comme je le suis que nous sommes devant une crise majeure de ce mode de production capitaliste dans sa phase impérialiste financiarisée ou celui-ci détruit les hommes et la nature, c’est-à-dire non seulement les exploités mais l’humanité et ses conditions d’existence, il est clair que les conditions objectives d’un changement de société sont réunies et ce depuis pas mal de temps, ce qui fait défaut ce sont ce que l’on appelait les conditions subjectives, conscience de la réalité de cette crise, de sa profondeur, de sa nature et origine, et parrallélement absence d’organisation, individualisation extrême. Tout cela n’est pas né de rien, il faut donc être trés attentif à la manière dont dans une telle situation les exploités prennent conscience, aspirent à des formes collectives, expriment l’antagonisme.

Il est tout de même extraordinaire qu’il y ait aussi peu d’analyses sur ce sujet, la plupart extraordinairement descriptives, événementielles, alors que désormais l’essentiel devrait porter là-dessus, faire état de l’évolution de la compréhension des victimes de ce mode de production, réfléchir aux conditions du rassemblement. C’est dans cette inertie que réside le principal obstacle par rapport à la mobilisation réelle. Et il ne s’agit pas seulement d’accuser les organisations mais bien de construire à partir de la réalité de ce qui surgit non pas « contre » les bureaucraties syndicales mais en cherchant des voies pour résister et transformer. Apporter des connaissances, des informations des analyses sur ce qui se passe comme cela a pu être fait à propos de la Guadeloupe et de la Martinique, souvenez-vous « ça leur est tombé comme ça d’une coup, l’unité qui paraissait impossible s’est faite  » et ce n’est sans doute pas fini mais il faut en parler. Puisque certains mettent en cause avec l’Etat la forme parti, ne faut-il pas également souligner le rôle essentiel des « leaders » qui se substitue au paerti défaillant ? st-ce une forme transitoire, de quoi dépend-t-elle: de la remise en cause de l’Etat, de la médiatisation ou au contraire de la capacité à s’unir, à se faire confiance ce qui s’incarne alors dans un homme ? Ce n’est pas un hasard si ces formes multiples de rébelion ici et dans le monde ne donnent lieu à aucune publicité, aucune analyse, comme s’il fallait passer dans la spirale de l’oubli médiatique tous les phénomènes de ce type. Cela va selon moi avec ce qui vient de se passer à ce sommet du G 20 où il a été tenté d’installer un directoire mondial, une forme supra-étatique désignée par personne dont la plupart des participants, à commencer par les Etats-Unis et l’Europe sont à l’origine des problèmes et qui a décidé de se donner de superorganismes comme le FMI et la Banque Mondiale pour poursuivre dans le même sens (du profit, encore du profit et brisons tout ce qui résiste) en particulier en confiant à l’OMC le soin de briser les fragiles barrières protectionnistes que tenteraient d’ériger les pays du sud, cela ira jusqu’au droit des travailleurs, un monde dont l’inégalité, l’exclusion (172 pays étaient absents) seront plus que jamais la règle. Pendant ce temps, on fait silence non seulement sur les 172 pays qui n’ont pas le droit à la parole mais à toutes les victimes du système qui crient leur colère.

Danielle Bleitrach

(1) Article original anglais paru le 2 avril 2009)

(2)la référence à mai 68 est d’autant plus prégnante qu’au même moment l’éducation nationale et l’Université sont secoué d’une vague de protestation. Il faut également noter que dans la plupart des Universités se multiplient les démissions d’enseignants chercheurs de leurs responsabilités administratives. Cette action dénote bien le refus des universitaires et de la recherche d’être solidaire d’un autre monde des cadres, celui de la rentabilité à n’importe quel prix. Là aussi c’est une tradition française et il faut se souvenir que le grand mouvement français de 1995 contre le démantèlement des services publics avait débuté à l’Université, comme la spécificité de mai 68 en France c’est la rencontre plus ou moins aboutie entre  le monde de l’enseignement, de la recherche et celui de l’usine.

(3) Encore un concept à préciser, le militant c’est le « soldat » mais c’est aussi la figure messianique du prophète juif qui va disant la vérité avec un total désintéressement parce que tel est son être, les religeux en feraient un phénomène de « grace » mais les matérialistes y verraient une transcendance athée basée sur l’amour de l’humanité et animé par la passion de la vérité philosophique. Cela va du leader désincarné comme le Che au vendeur de l’huma-dimanche, toute une époque à laquelle a succédé désormais celle d’un parti electoraliste ce qui lui donne les moyens d’entretenir les espoirs de carrière et les fidélités clientélistes. Nous ne sommes pas seulement devant des responsabilités individuelles mais devant des changements de système, des intégrations de sous systèmes au sein d’un ordre politique.

Un commentaire

  1. Pour revenir à ce qui s’est passé au G 20 et à l’élaboration d’un gouvernement mondial par les mêmes pour défendre le profit, voici un texte qu’il faut méditer:

    Suite à l’annonce d’un nouvel ordre mondial qui fut largement diffusée dans le monde entier hier, Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph écrit: « Le monde a fait un pas de plus vers une monnaie mondiale, soutenue par une banque centrale mondiale qui administrera la politique monétaire pour toute l’humanité. »

    L’analyste économique en réfère à une clause contenue au point 19 du communiqué publié par les dirigeants du G20, en disant qu’il « représente la révolution dans l’ordre financier mondial. »

    « Nous avons convenu d’appuyer une allocation générale de droits de tirage spéciaux (DTS) qui injectera 250 milliards de dollars (170 milliards £) dans l’économie mondiale et qui accroîtra la liquidité mondiale, » selon la clause.

    Les DTS sont des droits de tirage spéciaux, un papier-monnaie synthétique émis par le Fonds monétaire international qui sommeil depuis un demi-siècle.

    « En effet, les dirigeants du G20 ont activé le pouvoir du FMI de créer de l’argent et à débuter «l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) ». Ce faisant, ils entrent de facto une monnaie mondiale dans le jeu. Elle est hors du contrôle de tout organe souverain. Les théoriciens de la conspiration vont l’aimer, » commente Evans-Pritchard.

    La question de la monnaie mondiale qui remplacerait le dollar ne doit pas être prise comme un complot, mais elle doit l’être comme un enjeu, l’ignorance est l’arme de ceux qui veulent continuer à dominer, exploiter et qui ont toutes chances d’y parvenir s’il n’existe ni organisation, ni lutte idéologique. Alors il faut peut-être comprendre qu’il y a nécessité d’éclairer les enjeux, de comprendre les stratégies, celle de Chavez et des 172 pays non représentés, de ceux qui à l’intérieur du G 20 vont jouer un autre rôle et celle des luttes des peuples. Parce que la question n’est « pas la théorie du complot » ou pas théorie du complot mais bien le fait que tout cela prétend être impulsé par les mêmes avec les mêmes objectifs et les mêmes institutions. Sans que les peuples, les plus pauvres aient leur mot à dire… La démocratie, la légalité, l’illégalité, quel sens cela a-t-il dans le contexte de l’ignorance, de la peur…
    Danielle Bleitrach


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