Les financiers de la mort Plaintes contre les Banques complices de la Dictature en Argentine.Par Horacio Verbitsky

3b132dad64f368de94fd797b70a584fe1Des enfants de détenus-disparus à La Plata en Argentine sous la dictature vont intenter une action en justice contre les banques qui ont financé la dictature, cette machine de mort n’aurait pu durer sans cette aide. Les banques avaient des informations précises sur ce qui est arrivé, ce qui aurait pu leur permettre d’imaginer le mal qu’elles ont causé

Leandro Manuel Ibáñez et María Elena Perdighe ont porté plainte contre les banques étrangères qui ont financé la dictature qui a séquestré et fait disparaître leurs parents en 1976 et 1977 à La Plata. Un cabinet d’avocat avec l’aide d’experts de l’Université de New- York a évoqué des antécédents dans le monde, comme le Tribunal de Nuremberg -qui a condamné les entreprises allemandes qui ont vendu le gaz létal qui a servi dans les camps de concentration, qui ont employé une main d’oeuvre d’esclaves et ont donné de l’argent aux nazis-, et la Convention contre le Génocide qui sanctionne non seulement les auteurs mais aussi leurs complices. « Je veux savoir qui a donné de l’argent à la junte militaire qui gouvernait ce pays en faillite mais qui pouvait payer les salaires des assassins de mes parents et acheter des machines pour les torturer » explique Maria Elena Perdighe.

Selon le Tribunal de Nuremberg le responsable d’un plan criminel nécessite pour l’exécuter la coopération de politiques, militaires, diplomates, et chefs d’entreprise. « Nous ne pouvons les considérer comme innocents s’ils savaient ce qu’ils étaient entrain de faire ». Les banques qui ont octroyé des crédits à la dictature argentine doivent réparer les dommages faits pour « leur responsabilité pour complicité corporative »

Une source importante est l’enquête menée dans le cadre du programme de droits humains et justice globale de la faculté de droit l’université de New-York, Veerle Opgenhaffen, et par le juriste argentin Juan Pablo Bohoslavsky, de la même université, et qui sera présentée le14 avril.

L’étude souligne qu’en 1976 la dette publique argentine externe était de 6 648 millions de dollars et qu’elle s’élevait en 1983 à 31 709 millions. Les deux tiers (20 658 millions) correspondent à des crédits bancaires, sans compter les autres 5441 millions en obligations qui sans doute étaient aussi dans les mains des banques.

Au milieu de la décennie 1970 les banques internationales ont accumulé une énorme masse de pétrodollars et ont fait pression sur les pays de capacité économique douteuse pour qu’ils contractent des crédits, qu’ils utilisèrent , dans de nombreux cas, pour réprimer leur peuple, comme dans en Argentine.

La chute de la demande interne et de l’activité industrielle provoquée par la politique de la dictature militaire ont eu pour conséquence que le niveau d’activité en 1982 fut de 1,3% inférieur à celui de 1975. Entre 1976 et 1980 le déficit public fut de 7,4% du PIB et entre 1981 et 1983 de 14,6%.

Avec le point de vue monétariste de ces années et « la Tablita » de Martínez de Hoz (système de dévaluation programmé), les recettes publiques étaient inférieures aux dépenses, comme on le voit dans le tableau exprimé en millions de dollars :
Année Recettes Dépenses
1975 4.587.700  7.418.788
1976 8.242.294  11.682.397
1977 16.400.397 18.731.123
1978 23.872.867  28.081.505
1979 35.570.706  42.942.564
1980 54.912.860  67.260.035
1981 31.288.550  43.947.663
1982 13.361.217  19.666.174

 

Ainsi le budget militaire s’est accru de plus du double entre 1975 et 83 tant en valeur absolue (de 1278 à 2500 millions de dollars) qu’en pourcentage du PIB de 2,04 à 4,39 %). Quand les banques ont exigé le remboursement, la crise de la dette a commencé et une forte récession a, à son tour, précipité la transition démocratique.

Le travail des universitaires reprend une affirmation du congrès étasunien dans l’analyse du rôle de la banque Riggs dans la dictature chilienne de Pinochet ;  » le financement est la clé du terrorisme, de la corruption et des actes délictueux ». Comme l’ont reconnu les dirigeants blancs en Afrique du sud qui durant des décennies ont résisté au boycott commercial : la clef est le financement externe, sans lequel l’appareil étatique se serait paralysé, y compris la répression.

Les articles publiés dans la presse internationale, les rapport publics du gouvernement des Etats-unis et des organismes de droits de l’homme ne laissent pas de doute sur la gravité de la situation dans l’Argentine de dictature, à propos de laquelle les banques ne peuvent jouer l’ignorance sur les crimes de lèse humanité qu’elles ont contribué à financer.

Le plus significatif fut le refus du gouvernement du président étasunien James Carter à fournir une aide militaire et financière à l’Argentine, compte tenu des violations des droits de l’homme et des normes fondamentales du droit international, et son vote contre les crédits multilatéraux demandés par la dictature à la Banque mondiale et à la Banque interaméricaine de développement.

En mars 1977, le gouvernement a expliqué cette politique au Congrès. Les Etats-Unis devaient user leur voix et leur vote dans tous les banques de développement, selon Patricia Derian la sous secrétaire au droits humains, dont ils faisaient partie pour défendre les droits humains. En conséquence, en 1978, Overseas private investment corporation, Opic, a décidé de ne plus assurer les entreprises qui voulaient investir en argentine, à cause des violations des droits de l’homme

[…] Se référer au texte complet en espagnol.

Les mécanismes de justice de transition ont tardé à prendre en compte les facteurs économiques qui permettent à un régime de réprimer sa population, comme on le voit dans la « portée limitée du rapport de la Conadep et dans les rapports de quasi toutes les commissions de la vérité postérieures. Le fait qu’en ce moment se tiennent les procès sur ces crimes offre une opportunité unique pour que l’Argentine crée un précédent, démontrant la nécessité de considérer les complicités civiles pour déterminer la vérité sur le fonctionnement d’un régime établi » explique le travail d’Opgenhaffen et Bohoslavsky.

En Argentine, on a compensé les « grâces » de 89 et 90 avec la mise en oeuvre de différentes lois qui établirent le paiement de dédommagements aux victimes du terrorisme d’état et à leurs héritiers pour un montant de quelque 225 000 dollars par cas. Un autre travail universitaire mené en 2005 par Christina Marie Wilson à la faculté de droit de l’université jésuite Forham de New-York a analysé le destin de ces dédommagements dans le chaos économique que vivait l’argentine.

Le paiement promis a été retardé et en 1997 il a été décidé par décret que les indemnisations étaient transformées en obligations de consolidation de la dette publique. En 2002 leur montant a été converti en pesos. Les obligations qui ont été émises en échange sont entrées dans le processus de renégociation de la dette externe, dans lequel les dits bons ont subi une perte de valeur des deux tiers.

Le traitement qu’ils ont reçu les bénéficiaires fut le même que celui des détenteurs d’obligations argentines, sauf que dans ce cas il ne s’agissait pas d’investisseurs qui occultaient un risque mais de victimes de la dictature qui recevaient ces obligations parce que l’Etat ne pouvait ou ne voulait les dédommager comptant. Mais ces réparations, dont l’Etat expliquait la dévaluation par ses difficultés économiques, n’empêchent pas la plainte auprès des banques qui n’ont pas les limites de l’Etat.

Selon Opgenhaffen et Bohoslavsky il s’agit d’obtenir « des réponses plus complètes en terme de procès, dommages et autres mécanismes de responsabilité » ce qui devrait s’avérer dissuasif sur le comportement des entreprises dans le futur.

Aussi, « combattre l’idée que ce fut l’expérience d’une poignée à peine de généraux qui ont développé seuls une campagne assassine et poser les questions importantes sur le rôle des acteurs financiers privés pour aider et prolonger la dictature ».

En 2000, le verdict du juge federal José Luis Ballestros sur le procès initiée par Alejandro Olmos sur la dette externe a mentionné dans son texte 73 des prêteurs de YPF ( qui était la voie d’entrée qu’employait la dictature pour dissimuler ce que coûtait le terrorisme d’Etat)

 Bank of America,
 Republic Bank of Dallas,
 Unión de Bancos Arabes y Franceses,
 Banco de la Sociedad Financiera Europea,
 D.G. Bank,
 Banco Europeo de Crédito,
 Unión de Bancos Suizos,
 Banco Internacional de Reconstrucción y Fomento (BIRF), – Citibank,
 Banco de Boston,
 Chase Manufactures,
 Lloyds Bank,
 Wells Fargo,
 Marine Midland,
 Banco di Roma,
 Citicorp,
 Banco de la Nación Argentina.

Mais la plainte demandait que ce soit la Banque centrale qui dise qui furent les financeurs de la dictature et ne regarde pas les crédits privés, mais qu’elle se réfère seulement aux prêteurs qui ont permis de faire fonctionner la machine étatique de la mort.

Página 12 . Buenos Aires, le 16 Mars 2009.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.

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