Le point aveugle de la vision économique de Mr. Obama, par Paul Jorion

urbanisme091Cette analyse de Paul Jorion sur le discours économique d’Obama renvoit à un autre débat que nous avons sur ce blog sur « les droits de l’homme »sur la nécessité de passer de l’abstraction, de son corrollaire la « psychologisation », au concret des rapports de force. Que dit en effet Obama et qui parait révolutionnaire à la société nord-américaine voire même à la France sarkozienne qui pourtant passse pour « interventionniste », il s’agit de restaurer le rôle de l’Etat garant de la cohésion sociale.  Les conservateurs ont crié comme l’analyse dedefensa.org à la Révolution. Mais selon Paul Jorion et c’est en cela que nous retrouvons le débat sur les droits de l’homme, il faut reprendre la question de l’Etat, celle de l’intervention dans sa dimension politique, oserions-nous dire qu’il faut revenir au travail que fit Marx en son temps, celui d’une « critique » de l’économie politique par l’analyse des rapports de classe et de l’Etat comme appareil de maintien de ces rapports de classe. Paradoxalement l’économie néoclassique, le fondamentalisme du marché nous a ramené vers Marx et rendu caduc celui de Keynes, parce que le capital a mené et fait mener à l’Etat une véritable lutte des classes contre les exploités, radicale totale. . (note Danielle Bleitrach) « Les investissements prudents en matière d’éducation, d’énergie propre, de santé furent sacrifiés en faveur de diminutions d’impôt pour les riches et les gens qui ont des relations. Dans la perspective de ces choix, Washington a ignoré les pressions qui ont rendu la vie des familles des classes-moyennes très ardue. Il n’y a pas de mal à faire de l’argent mais quelque chose ne marche pas quand nous acceptons que la donne soit à ce point biaisée en faveur d’un si petit nombre.  »


Par Paul Jorion, 26 février 2009

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Mr. Obama dit :

Les investissements prudents en matière d’éducation, d’énergie propre, de santé furent sacrifiés en faveur de diminutions d’impôt pour les riches et les gens qui ont des relations. Dans la perspective de ces choix, Washington a ignoré les pressions qui ont rendu la vie des familles des classes-moyennes très ardue. Il n’y a pas de mal à faire de l’argent mais quelque chose ne marche pas quand nous acceptons que la donne soit à ce point biaisée en faveur d’un si petit nombre.

Les républicains ont vu ça et ont immédiatement crié à la « lutte des classes ». Ça fait pourtant longtemps qu’ils la mènent avec de gros moyens mais comme les riches devenus pauvres dont parlait Jacques Attali, puisqu’ils ont moins l’habitude des revers, quand ils en subissent ça leur fait plus mal qu’aux autres.

Je lis le long document présentant les mesures qu’envisage le projet de budget et c’est un long réquisitoire contre les deux administrations Bush. Ce n’est pas piqué des vers et on se demande parfois à la lecture s’il est possible que l’indignation provoque une indigestion. Non pas que ce qui est dit ne soit pas pleinement mérité, et on est conduit en effet à la lecture à se poser quelques questions de fond à propos de la démocratie : qu’est-ce qui pousse les peuples à voter démocratiquement, au suffrage universel, pour des gens qui ne cachent nullement que leur objectif quand ils auront accédé au pouvoir sera de piller la nation à leur profit et à celui de leurs proches ?

Ça se fait bien entendu aussi dans les entreprises, mais c’est différent, parce que ceux qui ont le privilège d’entendre ce genre d’allocutions savent dans ce cas-là qu’ils feront partie des heureux bénéficiaires. Je vois deux explications possibles, qui se recoupent sans doute partiellement : le fait que certains électeurs sont rétribués d’une manière ou d’une autre pour voter comme ils le font, et la peur : peur des autres, peur de l’avenir, qui vous fait voter pour celui qui vous dit qu’avec lui, on n’aura plus peur. Ce genre d’assurances suffit amplement à certains.

Quel héritage en effet, mes amis, que celui de Mr. Obama ! La guimbarde US of A pourra-t-elle jamais reprendre la route ? Bonne question en effet. Aussi ce qu’il fait essentiellement dans ce discours présidentiel de présentation du nouveau budget, c’est prendre les Américains à témoin et leur dire : « Voyez de quoi je suis en train de prendre livraison : d’un pays vidé de sa substance par 25 années de reaganisme, d’impuissance clintonienne et de Bushisme ! On va essayer, mais on ne promet rien ! »

Ce sera dur en effet. Touchons du bois pour lui parce que quand je lis l’analyse contenue dans son allocution, j’ai un doute sérieux. Ce discours rebelle s’exprime en effet encore toujours dans l’idiome de l’ennemi. On y entend toujours les relents de l’individualisme méthodologique cher à l’école économique de Chicago : quand les banques ne prêtent pas à des clients qui ne pourraient pas les rembourser, on parle toujours de « confiance à rétablir » au lieu de parler d’insolvabilité généralisée, quand il est question de l’alliance des investisseurs (alias capitalistes) et des dirigeants d’entreprises (alias patrons) et de la manière dont « leurs intérêts furent alignés grâce aux stock options », on parle toujours d’« imprudence dans la gestion du risque », au lieu de collusion.

Mr. Obama, écoutez attentivement ce que vous disent vos ennemis républicains à la vue de votre projet de budget : ils s’indignent et s’écrient « lutte des classes ! » Avez-vous noté que quand ils parlent d’eux-mêmes, ils n’utilisent que le langage de la psychologie aseptisée qu’ils ont qualifiée abusivement de « science économique », mais que quand ils parlent de vous ils adoptent, par un soudain miracle, le vocabulaire de la sociologie et de la science politique ? Ceci veut dire une chose : qu’ils comprennent très bien comment les choses se passent – du moins quand ça leur convient.

Oui, ils s’expriment comme von Mises, von Hayek et Rothbard quand ils parlent d’eux-mêmes, c’est-à-dire en termes de « masses monétaires », mais quand ils parlent de vous, ce sont les mots de Marx qui leur viennent à la bouche, comme si c’étaient les seuls qu’ils connaissent ! Aussi, cessez d’adopter la grille de lecture que se sont appliqués vos ennemis, en termes de bons sentiments individuels : évaluez les rapports de force, analysez leurs intérêts et étudiez les structures qu’ils ont mises en place. Oui : ils ont cassé la machine mais leur capacité de nuire reste entière : ils étaient à terre mais l’argent du contribuable les a requinqués !

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment La crise. Des subprimes au séisme financier planétaire L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008) et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

* Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
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Article communiqué par Paul Jorion à contreinfo

4 commentaires

  1. Ce texte est d’abord une réaction au projet de budget d’Obama. Ce projet de budget m’a fait le même effet qu’à Jorion: impitoyable autocritique de l’Etat américain! Mais il me semble que Jorion exagère un peu quand il suggère à Obama d’abandonner son langage et, pratiquement, d’employer celui de Marx. Parce que ce projet de budget doit maintenant passer devant le Congrès américain, et ce n’est pas du tout cuit, ce n’est pas une formalité. Le Congrès US a beaucoup plus de pouvoirs que le Parlement français, les Etats-Unis sont un régime nettement moins présidentiel que la France de Sarkozy. Et puis Obama a été élu grâce à Wall Street, il reste le Président des Etats-Unis, il ne faut pas lui demander l’impossible. C’est à nous de savoir traduire. Si un jour quelqu’un pouvait proclamer que « les marxistes soutiennent Obama », ça serait plutôt ridicule, et ça n’aiderait pas Obama.

    A part ça, il y a un passage dans ce texte que je ne comprends pas bien. A la question de savoir comment les précédents présidents ont pu être démocratiquement élus, il répond ceci:  » Je vois deux explications possibles, qui se recoupent sans doute partiellement : le fait que certains électeurs sont rétribués d’une manière ou d’une autre pour voter comme ils le font, et la peur ». La seconde explication, la peur, ne me pose aucun problème [voir les commentaires sur l’article de Bernstein sur la désintégration], mais que désigne exactement la première? Corruption, clientélisme? Je ne vois pas bien à quoi, concrètement, il fait allusion. Si quelqu’un pouvait éclairer ma lanterne…

    • mais non le problème que soulève Jorion va beaucoup plus loin que celui que tu vois dans son texte et qui d’après moi est lié à votre refus de la « peur »… Il est dans le texte que tu as repoussé comme générant la peur. Aujourd’hui les thèses régulationnistes, celles de l’intervention de l’Etat à la keynes ne fonctionnent plus. Parce que l’on ne peut plus sauver ce système là, parce que l’Etat n’est pas la solution du problème, il est le problème en tant qu’il est appareil de régulation des intérêts d’une classe dominante. Concrétement on peut verser des milliards ils aboutiront dans la même poche et ils prépareront les mêmes bulles spéculatives. Ton refus du texte de Benstein va trés loin jusqu’au désir de sauver un système. je te conseille de lire le texte que Rosa Luxembourg à Clara sur la manière dont la social démocratie allemande celle de Bebel ne sait plus que vivre le parlementarisme, les syndicats devenus appareils de la classe dominante. Je crois qu’il faut bien voir que c’est là le point aveugle d’Obama. j’ai parlé du talon de fer de jack London en pensant au discours des « philanthropes » qui finissent par menacer de tuer.
      Danielle Bleitrach

  2. Euhhh. Nous avons sans doute un désaccord sur la peur et le catastrophisme, mais j’essayais simplement ici de dire qu’Obama n’est pas marxiste, en somme. Ca m’étonnerait que nous soyons en désaccord sur ce point.

    Pour le reste, ta réponse n’éclaire guère ma lanterne sur ce que je ne comprends pas (« certains électeurs sont rétribués d’une manière ou d’une autre pour voter comme ils le font »),

  3. excellent article, merci


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