6e congrès du Parti Communiste Cubain : TOURNANT OU CONTINUITE ?

source : Cuba Si Lorraine

« La bataille économique constitue aujourd’hui, plus que jamais, la tâche principale et le centre du travail idéologique des cadres, parce que d’elle dépend le maintien et la préservation de notre système social ». Raúl Castro.

Le 6e Congrès du Parti Communiste de Cuba (du 16 au 19 avril 2011) a été consacré presque exclusivement aux priorités économiques nécessaires pour le pays. Les commentaires de la presse occidentale ont déferlé : ouverture au capitalisme, la fin du socialisme à Cuba, Cuba choisit le modèle Chinois ou le modèle Vietnamien, et d’autres du même style. Des titres et des effets d’annonce témoignant d’une méconnaissance totale de la réalité cubaine et répondant plutôt aux fantasmes de certains « journalistes » qu’à une analyse réfléchie d’un redressement économique indispensable.

1959 -1980.

Pour situer et comprendre les mesures actuelles il est indispensable de rappeler quelques faits marquants des cinquante dernières années. Les premières années de la révolution (1959 – 1970) se caractérisent par une vague d’enthousiasme, des espoirs immenses, et des essais, des expérimentations, menées avec un manque de cadres et peu d’expérience et logiquement accompagnées de grands succès (l’éducation, la santé, la culture) et d’erreurs (surtout dans le domaine économique). N’oublions pas que la jeune révolution est soumise à des agressions (le 17 avril 1961 avait lieu la tentative d’invasion de la Baie des Cochons), des sabotages, des attaques politiques et diplomatiques pour isoler le pays et une agression économique, un blocus total de la part des Etats-Unis. Aucun autre pays au monde n’a été soumis à un blocus de plus d’un demi siècle, encore renforcé durant les années ’90 (loi Torricelli et loi Helms-Burton) et il est indéniable que ce blocus a considérablement freiné la réalisation des potentialités de développement économique du pays.

Dès lors Cuba n’a pas d’autre alternative que de se tourner vers le bloc soviétique pour trouver une alliance stable et s’assurer un marché pour les produits traditionnels du pays. L’appui du bloc de l’est et des conditions favorables pour les échanges vont permettre, dans les années ’70, une remise en route de l’économie, et le modèle économique soviétique va dominer l’économie cubaine durant les années qui suivent. Ce redressement est accompagné d’effets négatifs : une centralisation excessive, une bureaucratisation envahissante et le maintien du pays dans ses caractéristiques de pays en voie de développement, dépendant de l’exportation de produits primaires et tributaire de l’importation de produits finis, augmentant ainsi la vulnérabilité aux évènements étrangers.

1980 – 2000.

Vers la moitié des années ’80 Fidel Castro lançait le « Processus de rectification des erreurs et des tendances négatives ». Un premier pas dans la lutte contre la bureaucratie, la centralisation excessive, des signes de corruption et d’autres maux inhérents au système en place. Ce processus était accompagné, comme c’est toujours le cas à Cuba pour des décisions importantes, d’un débat ouvert avec la population.

Les années ’90, avec la chute du mur de Berlin et l’écroulement de l’Union Soviétique, suivis d’un renforcement du blocus, vont voir Cuba affronter une crise économique sans précédent. Le commerce extérieur chute de 85% et, entre 1989 et 1993, le PIB diminue de 35%. Le gouvernement décrète la « Période spéciale en temps de paix ». Le premier objectif est de sauvegarder les acquis sociaux (santé, éducation, culture, protection sociale généralisée). On écarte catégoriquement les solutions que le FMI au la Banque Mondiale imposent traditionnellement aux pays en difficulté. Les salaires sont maintenus et on ne passe pas aux licenciements (même en cas de travailleurs surnuméraires), afin de limiter l’impact négatif de ce véritable tremblement de terre économique. Des réformes pragmatiques s’imposent : une ouverture limitée et contrôlée aux capitaux étrangers essentiellement dans les secteurs générateurs de devises étrangères (tourisme, nickel), dans un premier stade le dollar est autorisé comme deuxième circuit monétaire pour être remplacé quelques années plus tard par le peso convertible, circulant à côté du peso national, fort affaibli. Ce dualisme dans l’économie amène des inégalités entre les Cubains ayant accès aux devises (travaillant dans le tourisme ou via les envois d’argents de la famille à l’étranger, les « remesas » (environ 60% de la population) et le reste de la population. L’agriculture est stimulée car la productivité y est faible (nouvelles formes de coopératives, ouverture de marchés agricoles) et le secteur du sucre est profondément restructuré, avec un recyclage de dizaines de milliers de travailleurs. Des formes de travail privé, pour son propre compte en terminologie locale, sont autorisées sous certaines conditions et dans certains domaines (entre autre restauration, location de chambres).

2005 – 2011

En novembre 2005 Fidel Castro lance une attaque frontale contre la corruption et annonce des modifications. En effet, les mesures prises pour faire face à la crise ont non seulement créé des inégalités entre les Cubains, mais ont aussi fait ressurgir des phénomènes négatifs comme la corruption, la petite délinquance, la prostitution (liée au tourisme de masse). Le contexte international est plus favorable au pays (échanges avec le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur et de nombreux autres pays au monde, création de l’ALBA, etc.). Suite à la maladie de Fidel ce sera à Raúl Castro de relancer le processus.

Le 26 juillet 2007 il admettra la nécessité de changements structurels et il invite la population à mener un large débat sur les nécessités du moment. Ce débat va durer plusieurs mois et sera partiellement à la base de plusieurs des mesures proposées aujourd’hui.

Fin 2008 trois ouragans successifs et dévastateurs frappent l’île causant des dégâts énormes, estimés à 20% du PIB. La crise économique mondiale touche aussi Cuba, le prix du nickel chute de près de 80%, les recettes du tourisme diminuent (il y a plus de touristes mais ils dépensent moins). La productivité du travail reste faible. Les besoins essentiels de la population étant garantis et l’accès à des produits importés limité, le Cubain ne voit pas la nécessité de travailler dur. Cuba a une population qualifiée, bien scolarisée, d’un niveau culturel et intellectuel élevé (comparable aux pays les plus développés) mais avec peu de perspectives d’accroître son niveau de vie. Comme le disait quelqu’un : à quoi sert d’être un pianiste virtuose si on n’a pas un piano de bonne qualité ?

On annonce alors une réduction des emplois dans les entreprises publiques, d’un demi million de travailleurs. L’annonce est faite par les syndicats et la décision a été prise en concertation après de longues discussions. La production sera décentralisée, les producteurs locaux reçoivent plus d’autonomie, le salaire sera lié aux résultats. Les emplois perdus dans le secteur public passent à d’autres domaines : le travail pour son propre compte est élargi (à ce jour -21/5/2011- 309.728 personnes ont fait ce choix), on encourage le passage au travail agricole (il faut absolument réduire les importations d’aliments qu’on peut produire sur place), des emprunts deviennent possibles ainsi que l’embauche de personnel (avec un système de sécurité sociale et une mesure logique de payements d’impôts). Des pans de l’économie sont fortement développés et créent de nombreux emplois : extraction de pétrole, la construction, la biotechnologie, l’industrie pharmaceutique, le tourisme. Ce redéploiement du personnel, d’une ampleur impressionnante, se fait bien sûr de façon progressive et sous le contrôle strict des syndicats. Rappelons la restructuration du secteur du sucre où, déjà, 300.000 travailleurs étaient recyclés.

Soulignons en passant que durant toutes ces années de période spéciale, de restructuration

du secteur sucrier, de l’actuel redéploiement des forces de travail, malgré les très difficiles conditions de vie quotidienne (coupures d’électricité, manque de produits courants) Cuba n’a pas connu de mouvements sociaux, ni grèves, ni agitation, signe évident que pour la sauvegarde du système socialiste cubain le gouvernement à le soutien d’une large majorité de la population.

Le 4 avril 2010 Raúl relance le débat, dénonçant le manque de mesures prises et prônant la bataille économique comme condition indispensable pour assurer le maintien du système social. Il déclare, entre autres, que « continuer à dépenser au-delà de nos revenus revient à mettre en danger la survie même de la révolution…il faut briser les dogmes … Quand elle n’est pas antagoniste la contradiction est un moteur du développement ». Il continue sur la même ligne le 18 décembre 2010 quand il dénonce les excès de paternalisme, d’idéalisme et d’égalitarisme du passé, dénonçant que beaucoup de Cubains confondent socialisme avec gratuité et subsides, égalité avec égalitarisme. C’est à ce moment qu’il présente le projet de « Grandes lignes pour la politique économique et sociale ». Le projet est diffusé massivement et présente 291 propositions de mesures à prendre dans la gestion économique et tous les domaines de développement nécessaires pour le pays. Il est impossible d’analyser ici toutes ces propositions mais les grandes options en sont : une réelle rationalisation de tous les secteurs de l’économie, rectifier les erreurs, économiser les ressources à tous les niveaux, élever la productivité et la production (dans l’agriculture et l’industrie), diminuer les importations et augmenter les exportations, décentraliser les pouvoirs de décision au niveau local, des salaires qui rémunèrent des résultats effectifs, l’instauration de travailleurs individuels et de micro entreprises, la transformation en coopératives de certaines entreprises publiques (salons de coiffure, garages, taxis, restauration, transports de marchandises) .

Ce texte est soumis à la population dans des débats, dans les entreprises, les quartiers, les organisations de masse, les centres de travail. Entre le 1/12/2010 et le 28/2/2011 plus de 8,9 millions de personnes ont participé aux débats (certaines plus d’une fois fois, sur les lieux de travail et dans leur quartier) dans plus de 163.000 réunions. Trois millions d’interventions, sans aucune exclusion, ont été registrées et les résultats de ce large échange d’idées a fourni la base de travail pour le gouvernement.

Des 291 paragraphes du projet, 16 ont été intégrés dans d’autres points, 84 ont été maintenus, 181 ont été modifiés et 36 nouveaux paragraphes ajoutés (soit 311 dans le projet définitif). En d’autres termes ceci veut dire que deux tiers des directives (68%) ont été amendées et reformulées. C’est ce texte amendé qui a été soumis aux 6e Congrès du Parti Communiste de Cuba, qui est en fait l’aboutissement de plusieurs années de débats, de mesures intermédiaires et d’interventions pragmatiques indispensables. Les mesures proposées ne peuvent pas, c’est évident, s’appliquer toutes à court terme et les Cubains estiment qu’il faudra au minimum cinq ans pour les introduire, les évaluer, les adapter si nécessaire, sans improvisation et sans hâte. A côté de ces mesures économiques le système de gouvernement sera également revu, avec une phase d’expérimentation d’une nouvelle conception fonctionnelle et structurelle dans les provinces de Mayabeque et Artemisa. Le Parti Communiste va également revoir son fonctionnement et ses structures.

Revenons-en à notre point de départ : tournant ou continuité ?

Il est clair que Cuba ne renonce en rien au socialisme. Les transformations doivent, au contraire, permettre la poursuite du système et garantir le maintien des acquis sociaux. Les Cubains ne prétendent pas inventer un modèle idéal de socialisme. Ils réinventent, ils actualisent, ils adaptent avec pragmatisme, en se basant sur le socialisme et l’héritage de José Martí qui fait partie des valeurs fondamentales du système. Lorsqu’on voit la participation de la population aujourd’hui (comme ce fut le cas dans le passé pour d’autres grands dossiers comme la constitution de 1975, les textes du 4e Congrès, les parlements ouvriers en 1991) nous ne pouvons que constater que peu de pays au monde (y en a-t-il un deuxième ?) consultent et impliquent leur population à une telle échelle.

Au moment de terminer cet article (15 mai) nous parviennent deux documents, diffusés massivement à Cuba depuis quelques jours : le texte définitif des propositions et une brochure présentant en trois colonnes les résultats des débats : le texte d’origine, le texte définitif et les fondements des modifications.

Laissons le mot de la fin à Raúl Castro : « Nous sommes convaincus que la seule chose qui puisse faire échouer la révolution et le socialisme à Cuba, de mettre en danger le futur de la nation, c’est notre incapacité à dépasser les erreurs que nous avons commises pendant plus de 50 ans et les nouvelles que nous pourrions encourir ».

Freddy Tack

3 commentaires

  1. Je ne sais pourquoi, mais la lecture de cet article me laisse un arriere gout amer dans la bouche.
    Une vague impression…
    Il me semble tout de même bizaroide que le discours du PCC soit le même que celui de Sakozy en 2007 ! Trop de fonctionnaires, trop faible rentabilité du travail, etc…
    Quand Gorbatchev a lancé les reformes, il disait aussi vouloir sauvez le socialisme.
    Ils n’ont jamais voulu sortir du socialisme et pourtant…
    Je n’ai de leçon à donner à aucun peuple, mais il me semble qu’il y a en germe beaucoup de contradictions qui peuvent s averer mortiferes.

  2. ton impression vague est fausse… mais révèle une question intéressante pour la France…

    Pour moi, il y a un gouffre entre le discours du PCC et celui de Sarko, le plus grand étant dans la démarche de construction par le peuple à Cuba, et de construction médiatique en France… aussi dans la place de l’intérêt général, de l’intérêt du peuple dans son ensemble et non pas dans l’opposition des intérêts catégoriels…

    D’autre part, ta lecture est trop rapide, et confond par exemple productivité (qui est un problème de consommations de ressources humaines et naturelles pour répondre à un besoin problème identifié à Cuba, mais aussi… en Grèce), et rentabilité (qui est la condition de la reproduction du capital…)

    Mais quel est le point commun entre le discours de Sarko et celui du PCC concernant les fonctionnaires ? Il y en a sans doute un.. qui doit être vu par les communistes contre les idéalismes de la gratuité immédiate ou du communisme déja là… Car on ne peut dire qu’il faut augmenter sans limite le nombre de fonctionnaires, si on ne dit pas par quel impôt ils sont payés et donc par quelle activité… plus ou moins productive…

    De fait, il y a un concept essentiel aux communistes qui est celui du développement des forces productives. On ne peut pas « promettre plus haut que son niveau de développement ». Et je lis le discours du PCC comme un discours de vérité qui appelle le peuple cubain à gagner la bataille de la production de richesse, dans le contexte particulier de Cuba (blocus…)… l’exemple de la restructuration du sucre (article passionnant de danielle il y a quelques temps sur ce blog) montre bien que devant le même problème (nécessité objective d’une restructuration), la réponse capitaliste et socialiste est totalement différente… Et si Cuba estime qu’il faut mettre plus de forces dans la production de richesse et pour cela augmenter la productivité du travail administratif pour libérer des forces et gagner la bataille de l’économie, je leur fais confiance sur leur appréciation… Ce serait curieux d’ailleurs de critiquer une mesure finalement de réduction de la bureaucratie…

    Au contraire, Sarko chercher non pas à gagner la bataille de l’économie, au sens du développement de la France au niveau très élevé que ses forces productives lui permettraient dans le socialisme, mais à gagner la guerre de classe de la domination du capital pour extraire toujours plus de profit, une guerre sociale qui paupérise toujours plus le peuple…

    C’est ce qui fait que les verts sont fondamentalement un mouvement réactionnaire, au sens propre, qui cherche dans la reproduction du passé, sans remettre en cause le capitalisme, la réponse à la question du développement.

    Mais nous avons besoin du développement continu de la productivité pour libérer toujours plus de temps social au service de l’émancipation humaine (individuelle et collective)..

  3. Je ne suis pas du tout d’accord avec la légèreté dont est analysé le congrès du PCC par Dimitri.
    J’ai lu et relu les travaux de ce congrès exemplaire. Que veux-tu de plus Dimitri?
    Connais-tu beaucoup d’organisations dites démocratiques qui permettent d’élever le débat d’idées à un tel niveau de qualité?
    Ton discours relève de l’anticommunisme primaire.
    Osez comparer le discours du PCC à celui de Sarkozy, il fallait oser le faire.
    C’est du même tonneau que comparer Hitler à Staline.
    Ta comparaison entre le renégat Gorbatchev et le PCC me reste en travers de la gorge.
    Je ne sais si tu es ou non encarté au PCF mais si, comme des milliers d’autres camarades, j’ai quitté le parti, c’est parce qu’il n’était plus un parti progressiste. Il n’en demeure pas moins que des camarades très minoritaires, continent à y militer, c’est leur choix et je le respecte.
    Je n’aime pas cette façon négative d’analyser les travaux sérieux du 6ème congrès du PCC.
    J’ai un blog très critique et lorsque je perçois un danger, je le dénonce.
    Qu’apportes-tu au débat ? Quelles propositions constructives verses-tu à la discussion pour l’enrichir?


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